B41-la question juive

La question Juive

 

Difficile de penser que le problème juif se soit posé dans un canton rural comme le notre. Et pourtant il a bien existé, c'est un devoir de le traiter.

 

Historique

Dès le 14ème siècle Gray n'a cessé d'héberger une communauté juive. Au 19è siècle des familles juives alsaciennes vinrent s'installer à Gray pour rester françaises, elles formèrent alors une communauté culturelle avec un ministre officiant Mr Léopold Marx, et une synagogue rue du Marché. En 1858, elles achètent un terrain pour y enterrer leurs morts et le 5 octobre 1907, le Conseil municipal de Gray leur attribue ce cimetière israélite.

De nombreuses familles juives originaires du Haut Rhin s'établissent à Gray tel est le cas des grands-parents maternels de Claudine Cahen :

Marx et Julie Walch fondent un commerce de négoce en bestiaux à Gray, leurs deux filles Alice et Pauline poursuivent leurs vies en cette ville de Gray, pourtant Pauline épouse en 1920 Salmon Cahen de Bouxières aux Dames dans la Meurthe et Moselle, mère de 3 filles dont Colette Jacob. L'harmonie règne entre les communautés et se poursuit malgré la déclaration de guerre de septembre 1939. Son père, ancien de 14/18 et croix de guerre avec citation, est naturellement mobilisé, dans la garde territoriale en juin 40.

Devançant l'arrivée des Allemands, la famille au complet part en exode dans le sud. A la capitulation de la France, il n'est pas question de revenir en zone occupée. Beaucoup de familles juives de Gray se retrouvent à Toulouse où vont commencer les années noires pour leur communauté après l'invasion allemande de la zone libre en novembre 1942, consécutive au débarquement allié en Afrique du Nord.

 

Exode des familles juives du Nord-Est

Au tout début de juin 40, les familles juives implantées en Alsace et en Lorraine quittent précipitamment leur région pour fuir vers le sud, elles redoutent de revivre l'épisode douloureux vécu 25 ans plus tôt. Deux familles juives nous intéressent tout particulièrement ; 2 couples avec 2 enfants, les 2 mères sont sœurs, les 2 pères portent des noms à même consonance mais des noms différents. Voici donc Lucien Vorms marchand de bestiaux et Renée Moyse et leurs 2 garçons Raymond (18 ans) et Claude (), habitant Château-Salins en Meurthe et Moselle d'une part, et Robert Worms ex boucher, marchand de tissus et Suzanne Moyse et leurs enfants Nicole (7 ans) et Jacques (4 ans) domiciliés à Delme (en Moselle).

Le premier couple doit s'arrêter à Dampierre sur Salon tant les routes sont encombrées de véhicules de toutes sortes, tout le monde se sauve. Raymond est en moto qu'il ne veut pas laisser à la maison, il fait halte à Vichy dans une ferme où il aide les cultivateurs.

Le second couple quitte la Moselle, les Allemands ont installé la Kommandatur dans leur maison, et ils ont les mêmes problèmes de circulation. Les 2 couples accompagnés des grands-parents maternels Ernest et Aline Moyse se retrouvent à Dampierre, dans une grande maison louée à Mr Véron. De faux-papiers pour passer la ligne de démarcation permettent à Raymond de les rejoindre. Ils vont y vivre3 ans et 9 mois, le boucher ayant trouvé du travail auprès d'un confrère Henri Gauche frère d'Albert et Charles Gauche de Pesmes.

 

Arrestation des Juifs  le 24 janvier 44

Un recensement des Juifs ordonné en 1941 par le gouvernement de Vichy dans chaque préfecture montre qu'ils sont 22 à Gray et 9 à Dampierre et 5 à Pontailler sur Saône ; Mais les lois anti-juives votées par le gouvernement de Vichy vont devenir de plus en plus contraignantes, voire insupportables au fil des années. L'interdiction de commercer et le port de l'étoile jaune deviennent des épreuves humiliantes pour cette communauté traquée. Les rafles de Juifs en seront l'ultime épreuve.

Pour leur sécurité, certaines familles juives sont cachées dans les villages grâce à des municipalités très compréhensives. Pourtant l'hébergement et l'aide qu'elles leurs apportent sont passibles de sanction graves allant de la déportation jusqu'à la mort.

C'est en février 44 que la police allemande de Dijon ordonne l'arrestation de tous les Juifs de la région, arrestation effectuée avec la complicité des gendarmes ou des policiers français...Il faut louer le courage et l'abnégation de certains qui vont prévenir la veille, les familles juives de leur arrestation.

A Dampierre sur Salon

C'est par la jeune Nicole Worms copine de classe de la fille d'un gendarme de Dampierre qu'arrive la dramatique nouvelle, confirmée par les paroles d'un autre gendarme ce 23 février : tous les juifs du secteur vont être arrêtés demain matin à l'aube. Bizarrement, il leur demande de partir mais deux des leurs doivent rester lors de cette arrestation pour montrer aux autorités allemandes que les gendarmes français ont bien exécuté leur mission. Incroyable !

Le message est bien entendu. Lorsque quatre gendarmes de Dampierre se présentent le lendemain, ils ne trouvent que les deux grands-parents Ernest et Aline Moyse, ils se sont dévoués ; arrêtés ce 24 février, ils sont dirigés sur Drancy le 28 et acheminés le 7 mars sur Auschwitz par le convoi n° 69 où ils sont exterminés le 12 mars 44 ….

C'est par Henri Gauche que le reste de la famille est envoyé se réfugier à Pesmes chez Albert et Colette Gauche ; trois jours cachés dans leur cave et pour tout repas, se contenter de manger des patates. C'est Jean Guillemot, le maire de Malans qui leur trouve un logement plus agréable mais surtout plus discret, loin des passages de convois allemands qui font retraite vers la frontière. 

Finis les Worms et bienvenue aux Vautrin, le maire leur offre de nouveaux papiers et la cure du village comme habitation. . Une grande partie de Malans se doute de quelque chose mais personne ne divulgue la vérité, mieux encore Pierre Guillemot en bon paroissien apprend les prières à sa conscrite Nicole…

L'autre famille juive, les Vorms rejoignent aussi Malans et s'appellent désormais Roland. Les nouveaux arrivants s'intègrent bien à la vie du village, à l'école pour les enfants et aux travaux des champs pour les parents.

Les familles vont à la messe en l'église du lieu comme tout bon ménage catholique, hélas leur participation à l'office n'est pas très conforme au rite…A la fin de leur première messe, la mère de Pierre et Paul Guillemot très observatrice, au coup d'œil de connaisseur, a ses mots : – Les nouveaux, ce ne sont pas des chrétiens--

Les 2 familles resteront à Malans jusqu'à la Libération, jamais elles n'auront été inquiétées, pas même ce jour du 9 septembre 44 où les Allemands décideront de faire sauter les ponts sur l'Ognon, celui de Malans inclus.

L'aîné des enfants, Raymond Vorms a 22ans est dirigé à la ferme Ruffy de Bard les Pesmes. En même temps que Lucien, le fils du fermier, il rejoindra le maquis de Pesmes quand celui-ci sera mis en place. Sérieux et n'ayant peur de rien, il devient le chauffeur du chef François Guillemot, agent de liaison mais aussi instructeur du maquis pour l'utilisation des armes provenant des parachutages. Pour un transport périlleux d'un blessé le 7 septembre 44, Raymond Vorms aura droit au port de la Croix de Guerre avec étoile de bronze.                                                     Image(1)

Ces deux familles juives après leur séjour en terre comtoise regagneront leurs habitations qu'ils ont abandonnées pendant près de 4 ans 1/2, ils reviendront voir et remercier leurs amis de Pesmes et de Malans après la libération totale du territoire. Cette gratitude dura bien au-delà de la Libération : à chacune de ses visites à Malans, le marchand de bestiaux de Château-Salins apporte entre autres à Jean Guillemot une veste ou un pantalon... qu'il a lui-même confectionné.

 

A Gray

Une grande partie de la population juive de Gray (22) n'a pas voulu quitter la ville. Mais la rafle que doivent effectuer les gendarmes et la Police de Gray, pourtant annoncée discrètement la veille aux intéressés, ne convainc pas certains juifs de se sauver.

La famille Gerst, agriculteurs possédant une grande maison avec granges, écuries, vaches, vendant leur lait aux habitants, aussitôt prévenue trouve refuge à Gilley dans le Doubs. Le couple et les 2 enfants évitent donc la déportation, tout comme les deux enfants Levy, Freddy et René petits-fils du rabbin Marx qui leur trouve une cache pendant 2 mois, à la ferme de la Grange Rouge de Chargey les Gray, tenue par la famille Wiess (des Suisses allemands), puis passés en Suisse grâce à un intermédiaire suisse ( les 2 enfants avaient remis leur kippa). Mais les grands-parents Léopold et Emma Marx marchands de bestiaux, ainsi que Reine Picard sœur d'Emma envoyés au camp de Drancy 18 mars et déportés à Auschwittz par le convoi n° 70 le 27 mars, gazés les 30 mars et 3 avril 44.

J'ai retrouvé sur Internet une photo des années 1915, postée par les descendants de cette famille, la joie et le bonheur y règnent en attendant les mauvais jours ; sur celle-ci, ces 3 personnes juives de Gray portent les numéros 1-2 et 8.                                           Image(2)

Allen Gensburger célibataire de 61 ans, les Allemands l'avaient choisi pour servir d'interprète, refuse de quitter Gray il est cueilli chez lui par les gendarmes français ; il partira dans le convoi n° 69 avec le numéro 15658, le 7 mars 44, comme le couple Lévy, Lucien (n° 15559) et Yvonne (n° 15560).

 

A Pontailler sur Saône

Il ne reste plus que 3 personnes juives, (Henriette Frank née Weill et sa fille Paulette ont été arrêtées à Dijon le 13 février 43 puis dirigées sur Auschwitz par le convoi 48) : Louis Weill (né en 1883) tient une petite ferme avec son épouse Alice née Lévy et sa belle-sœur Clarisse née Walch. Ils sont vieux et ne veulent quitter leur habitation malgré les incessantes recommandations qu'on leur fait de toute part, voisins, amis et gendarmes…

Le couple Weill est arrêté le 2 mai 44, ce ne sont ni les gendarmes, ni les policiers français mais plutôt des miliciens ou gestapistes. Ils sont conduits au siège de la Gestapo de Pontailler, bâtiment à gauche avant le pont de la Vieille Saône ; la belle-sœur plus âgée que le couple, ne l'est que 15 jours plus tard.

 Le 30 mai 44, le convoi 75 emporte le couple Weill (n°23156 et 23157) à Auschwitz. Clarisse Weill quant à elle, quitte Pontailler 4 jours plus tard, emmenée par 4 personnes dont 3 miliciens et une 4è personne vêtue d'un pardessus, le visage caché par une cagoule (une femme du coin ayant une bonne connaissance des Weill). Incapable de marcher, elle est transportée presque mourante dans une charrette avant d'être jetée dans une voiture qui prend la direction de Dijon. Son nom figure parmi les personnes juives conduites à Auschwitz par le convoi 77, sous le n° 23158, la suite est connue...

Une plaque est apposée contre le Monument aux Morts de Pontailler rappelant la mémoire de ces 3 personnes qui n'avaient comme malheur, celui d'être juif.                    Image(3)

 

Les Juifs graylois de la région toulousaine

Ayant quitté Gray avant l'arrivée des Allemands, ces familles juives pensaient trouver la tranquillité et la sûreté en zone dite libre, elles ont entre autres pour nom : Cahen déjà citée, Wal des marchands de tissus qui habitaient place des Casernes : 2 maisons indépendantes)...

La situation n'est plus la même après novembre 42 lorsque les Allemands envahissent l'ex zone libre.  Dans la famille Cahun, Pauline la mère et deux de ses filles Renée et Simone sont arrêtées le 3 mars 44 à Toulouse, un passage à Drancy avant d'être conduites sur Auschwitz par le convoi 70 ; Pauline est morte gazée, Renée24 ans meurt du typhus peut après la libération du camp de Bergen-Belsen, Simone aussi à Bergen-Belsen a plus de chance, elle peut rentrer en France, mais à 23 ans elle ne pesait plus que 32 kg. Le père et la fille Colette ont miraculeusement échappé à la rafle toulousaine du 3 mars.

Après la guerre, les quelques survivants auront à cœur d'ériger, grâce à une souscription, un Monument aux Morts pour la France, dans l'enceinte du cimetière des Juifs. Il enregistre la liste des 24 personnes juives mortes en ces années de guerre, elle est donnée à titre de mémoire : y figurent leurs nom et prénom, leur lieu de déportation, le numéro qu'on leur a attribué, l'année de naissance, le numéro du convoi et l'année de leur déportation.                            Image(4)

Ce cimetière israélite est entretenu par la ville de Gray qui 2 fois l'an : jour de la déportation et Toussaint vient en délégation avec associations patriotiques, drapeaux, musique et de nombreux Graylois se recueillir et fleurir ce Monument, témoin du lourd tribu payé par la Communauté Juive de Gray à la barbarie nazie aidée dans ses œuvres par le gouvernement collaborationniste de Vichy.

 

À La Résie St Marin

Il ne faut pas oublier la présence dans le village des 2 petits réfugiés parisiens, Alain Bragovski et Rosette Llianseski. Les familles qui les ont pris en charge connaissent très rapidement l'origine religieuse de ces enfants, comme d'ailleurs tout le village. Jamais aucune dénonciation ne fut faite ; le rapport de la gendarmerie de Pesmes trouvé aux Archives Nationales à Vincennes ne mentionne aucune recherche de Juifs dans le secteur : ces 2 enfants vivront jusqu'à la fin de la guerre une vie totalement protégée pour ce qui est de leur origine juive. Les familles qui les gardent auraient pu être gravement sanctionnées, peine qui aurait pu être la déportation pour ceux qui cachent des Juifs.

Alain Bragovski, le petit réfugié de chez Louis Poinsard a seulement 6 ans quand sa mère vient le rechercher si tardivement en cette fin décembre 1945.

Arrêtée à Paris en mars 44, elle est envoyée au camp de Bergen-Belsen, rentrée dans un tel état physique qu'elle doit se rendre dans un établissement de soins approprié. Elle y reprendra quelques forces pour élever seul son fils Alain.  En effet le père venu rendre visite à son fils, est arrêté par la police allemande et envoyé dans un camp ; il est du dernier convoi (le n° 73) de déportés, parti le 15 mai 44 et envoyé à Kaunas en Lituanie dont il n'en sortira pas (seul 22 retours pour 900 partis)...