E-Télégraphe de Chappe à Chaumercenne

Chaumercenne et le télégraphe 1840-1855

 

A la sortie sud-est de Chaumercenne, route de Montagney, se présente une côte dite la côte du télégraphe. Cette dénomination m'a interpellé et cette étude m'a paru intéressante à diffuser.

En 1840 la ligne télégraphique aérienne Dijon-Besançon voit le jour. Elle constitue le premier moyen de communication visuel par sémaphores, très rapide (½ h contre 1 jour par diligence).

 

La ligne télégraphique Dijon-Besançon

dans l'Atlas Kermabon

 

 

 

 

A Chaumercenne c'est une tour carrée Chappe (du nom de l'inventeur du télégraphe aérien en 1790) que l'on construit en 1840 au sommet de ladite côte, comme à Montseugny en 1841 et Courchapon les 2 sémaphores précédent et suivant celui de Chaumercenne.

A l'époque cette tour porte le numéro 157 et s'élève à 6 m de haut, à l'étage une salle avec 2 fenêtres ouvertes sur les 2 villages cités avant. Elle comporte en son centre un mât de 7m de haut, muni de 3 barres : 2 barres de 2m de long (indicateurs) articulées à chaque extrémité d'une barre centrale de 4m60 (régulateur). L'ensemble de ces barres est actionné par un ingénieux système de courroies et poulies depuis l'intérieur de la salle.

 

 

Ces 3 barres en chêne, de couleur noire pour être bien visibles, sont munies de persiennes fixes pour réduire leur prise au vent. 2 stationnaires occupent le premier étage de cette la tour, l'un le visuel dispose de jumelles spéciales au grossissement de 30 à 45 fois pour lire les signaux donnés par le stationnaire de la tour précédente, l'autre qui les transmet (en manipulant les barres du mât) au stationnaire de la tour suivante, après les avoir consignés dans un registre.

 

Principe du télégraphe aérien Chappe

 

Constitution d'un signal

Chaque indicateur peut prendre 7 positions (la rotation de l'indicateur se fait de 45° en 45 °) tandis que le régulateur n'en tient que 2 ( l'une horizontale et l'autre verticale), donnant ainsi 2x7x7=98 signaux dont 6 sont réservés à l'usage du stationnaire pour l'émission du message ; ces 6 signaux sont d'ailleurs les seuls qu'il connaît (repos, signal en formation, arrêt, pause, fin de message, erreur ...). La composition de ces positions permet d'obtenir un répertoire de 92x92=8464  mots ou expressions consignés dans un livre dit le vocabulaire tenu secret par les seuls directeurs, codeurs et décodeurs de messages à chaque bout de la ligne télégraphique.

Voici la liste des 92 signaux obtenus en faisant tourner les indicateurs et régulateur en position : 1) verticale pour les 46 premiers et 2) horizontale pour les 46 derniers, et celle des 7 connue des stationnaires pour leur usage.

 

Envoi d'un signal

Chaque mot codé (nombre de 4 chiffres) est composé de 2 nombres de 1 à 92 représentant 2 signaux

Dans chaque poste, le stationnaire observe le signal envoyé du poste amont, le transcrit et le renvoie au poste aval. Pour effectuer cet envoi, il dispose de ces 7 signaux d'usage dont il a connaissance de leur signification, et des 92 autres signaux de message dont il n'a aucune compréhension.

Pour former le signal, le stationnaire doit manipuler les poulies pour se conformer au signal correspondant au nombre que lui donne l'autre stationnaire (celui à la jumelle).

Pour expédier un signal reçu, la procédure est répétitive :

Signal de position de repos, puis signal en formation, signal formé, puis manipulation inverse pour revenir à la position de repos.

Un nouveau signal ne peut être envoyé d'un poste que si le poste d'aval la bien reçu.

Si le message contient 20 mots ou expressions, le stationnaire transcrira 20 nombres de 4 chiffres et enverra 40 signaux, l'autre stationnaire du poste aura donc manipulé environ 120 fois le mécanisme fixé contre le mât…. Sauf problème, le transfert du message d'un poste au suivant prend environ une quinzaine de minutes ; il faut donc compter moins de 20 minutes entre le départ du message à la 1ère station et la fin de ce même message à son arrivée à la dernière, si la ligne comporte 7 postes comme celle de Dijon à Besançon. La durée de transmission actuelle par l'automobile serait plus longue…

 

Codage et décodage d'un signal

Un message doit être expédie sur une ligne, le directeur de la première station le code en utilisant la 1ère partie de son Vocabulaire. Chaque mot ou expression « mot » est codé sous forme d'un nombre de 2 à 4 chiffres obtenu par la juxtaposition de 2 autres de 1 à 92, le premier donne la page où il se trouve, tandis que le second indique la ligne où on le lit.

Pour décoder le message chiffré arrivé à la dernière station, son directeur recherche dans la seconde partie de son vocabulaire, la page et la ligne de chaque nombre. Il obtient son message normalement lisible. En cas de lecture incompréhensible, le message est renvoyé avec avis d'erreur jusqu'au poste qui la commise, des sanctions sont alors sûrement prises contre le stationnaire fautif…

 

Pour fonctionner correctement, il faut des postes relais nombreux (une moyenne de 12 km entre postes successifs est conseillée pour une bonne lecture de position du mât) et de nombreux agents (2 stationnaires par tour, 2 directeurs qui codent et décodent les messages et des inspecteurs qui contrôlent la bonne gestion de la ligne. En 1844, 534 tours quadrillent le territoire français pour un réseau télégraphique d'environ 5000 km, permettant de relier les plus grandes villes françaises, ne délaissant vraiment que le Massif Central .

 

La ligne télégraphique Dijon-Besançon

Mise en service en 1840, elle démarre de Dijon, au-dessus de la Tour Jean le Bon pour relier Besançon où l'église St Pierre lui prête son clocher.Les tours intermédiaires sont postées à St Appolinaire (carrée), Arc sur Tille (ronde, c'est la seule de la ligne), Belleneuve, Maxilly. Son entrée en Haute Saône se fait par Montseugny (n°470) , puis Chaumercenne (n°157), puis passe dans le Doubs à Courchapon, Audeux, puis fait un détour par les Montboucons avant de rejoindre la place St Pierre et l'église de Besançon .

Le stationnaire en poste à Chaumercenne est Louis Thibaud. Natif des environs de Sombernon, il arrive au village à l'âge de 29 ans, il est qualifié d'agent des lignes télégraphiques. Célibataire, il a l'air de se plaire au village puisqu'il se marie en 1846 avec Irmine Izelin repasseuse, fille du garde forestier du village. Son frère Louis le rejoint, sûrement son adjoint et donc le 2ème stationnaire du poste de Chaumercenne. A eux 2, ils visualisent les signaux à la jumelle émis depuis la tour en amont (celle du poste n°6 de Montseugny distante de 10,6 km), puis les reproduisent pour la tour en aval (celle de Courchapon (poste n°8) distante de 9 km).

A la fermeture de la ligne télégraphique Dijon-Besançon en 1852, les frères Thibaud avec femmes et enfants quittent le village ; sont-ils restés dans le service lignes télégraphiques, mais cette fois électriques ?

On ne sait pas non plus quand la tour du poste de Chaumercenne fut abandonné ; ruiné par les ans puis détruit, son emplacement fut rendu à la culture. Il semblerait avoir été construit sur le flanc gauche de la route, une grosse pierre encore existante et d'autres de construction constituent les dernières traces de la présence du poste de télégraphe aérien.

Chaumercenne a eu l'insigne honneur d'être avec Montseugny, un des deux seuls postes haut-saônois du télégraphe des frères Chappe, premier et ingénieux moyen de transmission d'informations. Notre village est ainsi mentionné dans l'Atlas des lignes télégraphiques de Jacquez et Kermabon (1892).

 

Ce télégraphe Chappe est une avancée considérable dans la transmission d'informations, hélas un énorme inconvénient dans son utilisation : la visibilité. Il ne fonctionne pas la nuit, ni en période de pluie dense ou de brouillard. Utilisé dès 1794, il servit beaucoup pour le service des Armées françaises en guerre contre l'Europe, puis plus tard pour informer la population impatiente de connaître les numéros gagnants de la Loterie Nationale...

En 1845 la première ligne de télégraphe électrique sonne le glas des tours Chappe et de la télégraphie aérienne. La dernière ligne encore en service cesse son activité en 1855 après 61 ans de bons et loyaux services. Lemorse arrive.