10-Le rattachement de la Comté à la France

 

Le rattachement de la Comté au Royaume de France

 

 

Le Comté de Bourgogne, une proie facile

 

La France et ses rois successifs ont toujours une attirance toute particulière envers ce Comté de Bourgogne enclavé dans son territoire et dont l'Espagne avec laquelle la France est en conflit, en est son protecteur. Henri IV en fait une traversée de reconnaissance en 1595, puis Louis XIII par l'intermédiaire de troupes mercenaires, puis ses armées apportent la mort et la désolation pendant cette fameuse guerre dite des Dix Ans. Enfin la double conquête de Louis XIV, commencée en 1673 qui ne dura qu'une quinzaine de jours (il n'en avait pas été ainsi pendant la guerre de 10 Ans) mais le traité d'Aix la Chapelle ordonne la restitution de la Comté à l'Espagne ; Les Comtois ne se font pas d'illusion, ce n'est que partie remise. Louis XIV revient avec ses armées en 1673 mais la résistance comtoise se manifeste à nouveau ; après 10 mois de combat, les Comtois ne veulent toujours pas se rallier à la France. Il faudra le traité de Nimègue signé en 1678 pour que la Comté soit définitivement scellée à la France, et ce n'est pas de gaieté de cœur...

 

Ces 3 guerres en Comté ruinèrent les villes et villages qui y perdirent 1/3 de leur population. Certains quittèrent la Comté pendant la guerre de 10Ans et ne rentrèrent qu'à l'annexion définitive en 1678. Le cas de la famille Fromont présente à Chaumercenne dès les années1400 jusqu'en 1630 montre l'ampleur de la détresse de cette famille. Ceux qui ont abandonné Chaumecenne en guerre ou leurs successeurs ne sont pas encore rentrés en 1684, quand l'Intendant de Franche Comté ordonne la déclaration de biens de chaque habitant du village.

Terres et vignes furent laissées à l'abandon pendant plus de 50 ans pour certaines, faute de paysans et vignerons pour les entretenir, maisons brûlées ou en ruines. Tout était à reconstruire.

Julien Richard a acheté la seigneurie dite de Montot avant les guerres, il n'en donne dénombrement qu'en 1640 : 8 journaux de vignes accensées à la moitié, à présent abandonnés pour la plupart par la mort et ruyne des accensaires, la maison bastie à l'antique toute ruyneuse… Image (1)

Ce n'est réellement qu'au début de 1653 que les seigneurs se décide à engager des démarches avec les quelques paysans restés au village et qui s'efforcent de travailler leurs maigres biens. L'objectif premier du seigneur : rendre en nature de culture toutes ses terres et vignes laissées à l'abandon. Bien évidemment ce ne sont pas ses fermiers qui peuvent le faire, ils ne sont que des laboureurs et vignerons du village qui gèrent d'abord leurs propres terres suffisamment détériorées, avant de s'atteler à celles du seigneur, et les travaux sont considérables.

Ces terres et vignes sont donc offertes à la vente, aux habitants du village rescapés des guerres, mais ouverts aussi à ceux des villages environnants. Les biens sont vendus à des prix relativement modestes ; les acquéreurs dont beaucoup se sont appauvris par l'absence de revenus de leurs terres à peine remises en état, ne peuvent offrir davantage, malgré la présence d'habitants d'autres villages très intéressés par la renommée de ses vignes.

 

D'abord vente générale des biens tombés en échutte,dès 1653

 

-Par Julien Richard, seigneur de Villersvaudey et de Chaumercenne

 

Julien Richard se résout à vendre des biens tombés en échutte, il est présent auxdites ventes et doit raisonnablement accepter les basses enchères de celles-ci, il signe même la délivrance des biens aux nouveaux acquéreurs…

Ainsi 4 ouvrées de vignes à Chevanny sont partis pour 30 frs à Claude Ligier, 5 autres pourtant de moins bonne qualité, es Costes, à Andrey Fèbvre pour 50 frs.

Le cellier de pierres, meix et maison sur le chemin tirant à Montrambert provenant de l'échutte de Jean Guyotte, est tout de même vendu le 8 avril 1653 à Jacques Guyotte Milan et son épouse Catherine Jacquot, pour la belle somme de 400 frs, somme qu'ils auront du mal à rembourser à la famille Richard, puisqu'en 1667, 14 ans après l'acquisition du cellier-maison, ils doivent constituer une rente pour satisfaire au remboursement du reste du payement.

 

Mais Julien Richard n'est pas le seul vendeur de biens tombés en échutte pendant ces périodes de guerre : L'abbaye d'Acey, autre et grand seigneur de Chaumercenne, ne peut faire autrement avec ses propres mainmortables décédés dont les biens lui ont fait échutte, dont certains d'ailleurs le sont aussi envers la famille Richard. Les potentiels acquéreurs de biens de toute sorte, maisons, terres ou vignes ont donc le choix, encore faut-il les fonds…,

Mais le payement par rentes annuelles et perpétuelles est accepté et est devenu... Il existe des familles aisées qui ont réussi à mettre de côté que ce soit à Pesmes, Résie St Martin et mêmeà Chaumercenne, pièces d'or d'Espagne (pistolles, patagons...) ou d'argent (écus ou 1/2 écus blancs) sont prêts à sortir des bas de laine.

 

-Par l'abbaye d'Acey

Ainsi le 27 avril 1655 est mis en vente par Messire Outhenin abbé commandataire d'Acey, le meix-maison sis en la Rue Dessus consistant en 2 raings et 2 pands provenant de l'échutte de Jean Guyotte Bourguignon de Gendrey, cité plus haut. La monte aux enchères lancée par Hylaire Corboillet à 100 frs et 4 frs de vin (le toujours fameux pot de vin…) lui est finalement adjugé à 200 frs.

Les 2 éminottes de terres donnant sur les Vignes de Chevanny, provenant de l'échutte de Jean Lampinet sont acquises par Jeanne Corboillet veuve de Claude Malgérard le vieulx pour 32 frs et 10 sols de vin.

23 lots sont ainsi offerts aux acquéreurs vendus par l'abbé d'Acey Othenin ce mois de mai 1655.

Voici une partie des échuttes arrivées à l'Abbaye d'Acey qui ont été vendues précédemment que l'on peut consulter en Image (2)

 

-Par la Communauté de Chaumercenne

Plus surprenant ce propriétaire de biens particulièrement spécial qui les vend lui aussi aux enchères : la Communauté de Chaumercenne !…

Par ses deux échevins Chaude Ligier et Hylaire Corboillet, elle vend séparément d'abord les vignes, puis les terres, l'argent en provenant est destiné à payer les arrérages de rentes contractées par elle, envers Claude Antoine Guelle plus spécialement (docteur en droit à l'Université de Dole qui possède quelques terres etvignes à Chaumercene et la maison templière avec la tour carrée encore existante), mais aussi envers d'autres particuliers du lieu.

 

Voici Lazare Guyotte du lieu ; il acquiert le 30 mars 1653, 8 éminottes de terre ( 2 à la Rappe et 6 sur la Ville) appartenant autrefois à fut Jean Guyotte Milan, pour un prix de 92 frs payables au jour de feste St Martin d'hyver. L'acte de vente mentionne que les biens vendus sont pour luy, ses hoirs procréés de son corps, et à deffaut retourneront de plein droit à la Communauté, francs et quittes de toutes servitudes, charges,… sauf de la cense de 3 blancs payable à la St Martin d'hyverImage(3)

La Communauté de Chaumercenne se comporte donc comme un seigneur qui vend un bien de mainmorte ! L'acte est passé devant le notaire Berthe, l'un des témoins requis n'est autre que Barthélémy Monarque prêtre et curé du lieu, il sera d'ailleurs présent à toutes les montes aux enchères des biens de la Communauté.

 

Arrivée d'une nouvelle population à Chaumercenne

 

La Comté qui a perdu 1/3 de sa population pendant les guerres de 10 Ans et celles du rattachement à la France, attire en masse de nouveaux arrivants qui vont profiter maintenant de la sécurité française accordée à la Province.

Certains viennent d'autres lieux comtois comme les Huvier de Fretigney, les Pleureux de Motey, les Faibvret de Sornay, les Boitteux de Jouhe, les Creux de Villers sous Montrond, des Voilly originaires d'Arraches proche Salins, qui s'installent à Chaumercenne après avoir épousé des personnes (surtout des filles) du lieu…

 

D'autres viennent du duché de Bourgogne déjà français : les Laloy de Tallemay dont Messire Françoi Laloy le futur bourrelier du village,

Nombreux ceux qui arrivent de Suisse. La présence de Barthélémy Monarque, curé de Vadans en 1640, puis de Chaumercenne en 1650, y est pour quelque chose. Natif de Warrax dans le canton de Fribourg en Suisse, sa présence rassurante a attiré peu avant 1674, des membres de sa famille qui se sont éparpillés dans les environs tout proches de Chaumercenne comme à Sainte Cécile. A la suite sont venus s'installer les Grémion dont André le futur cordonnier du lieu, originaires de Nésical (?) en Suisse…

Arrive encore Jean Baptiste Grand de Scey en Warrax le futur notaire à Pesmes.

Mais pour la majorité des nouveaux, ils proviennent du pays de Savoie tels François Gazet si vite intégré à la vie du village qu'il épousa dans l'année de son arrivée la jeune Pierrette Beuchey, tout comme Claude Flamand le maçon venu de Montgard en Dauphiné qui épousa Jeanne Ligey…

Pour bien les intégrer à la population, la Communauté leur délivre le ticket d'entrée indispensable : le droit d'habitantage.

 

C'est le cas de Claude Cabus. Les échevins Pierre Guyotte dit Milland et Gaspard Courboillet et d'autres habitants de Chaumercenne de Chaumercenne, informés des bonnes et saines capacités d'expérience et réputation de Claude Cabus de Frisle (lieu inconnu) ont, pour ces causes et d'autres,faict et passé, font et passent iceluy Cabus, habitant dudit Chaumercenne, aux mesmes droits, profits,franchises, autres privilèges et exemptes, que un chacun deshabitans pourra jouir présentement, et jouira cy après de tous ce qui dépend de leur communauté, à charge aussi de supporter les charges de ldite communauté, en un particulier comme luy des autres habitans et d'obéyr aux échevins entoutes occurrences, ladite vente ainsi faicte moyennant le prix et somme de 25 frs qu'il s'oblige de paier auxdits habitans le jour Notre Dame de mars prochain venant, à peisne d'intérets. L'acte est passé le 3 du mois de janvier 1669 devant le notaire Pierre Maistret notaire à Pesmes. Image (4)

 

La communauté veut bien l'accepter comme un de ses habitants, avec avantages et charges mais n'oublie pas de lui faire payer cette introduction dans la Communauté.

Tous ces nouveaux arrivants vont redonner vie au village ; si certains viennent pour poursuivre le métier qu'ils avaient avant, la majorité s'attelle aux travaux des champs et vignes demeurées en friches afin de les remettre en état.

 

-Puis accensement pour les biens de fief tombés en désert de friches, dès 1670

 

Jean Baptiste Richard le nouveau seigneur de Villersvaudey et de Chaumercenne après le décès de son père Julien (à l'âge de 75 ans) en décembre 1654, n'a que 11 ans...Il faudra donc attendre une dizaine d'années pour que ce jeune seigneur reprenne en mains le reste de la seigneurie de Chaumercenne ; la Comté est devenue française pour quelques temps.

Le risque de guerre s'étant éloigné, le jeune seigneur peut plus facilement remettre sa seigneurie en état. D'autant plus que le village s'est ouvert à une nouvelle et jeune population attirée par la terre, on voit alors arriver des gens venus de villages voisins, d'autres de Savoie, même de Suisse si proche.

 

Ces nouveaux arrivants vont accepter les ascensements proposés par Jean Baptiste Richard seigneur principal à Chaumercenne, tant de terres sont encore en friches, particulièrement celles d'ancien fief qui ne peuvent être vendus.

Elles ne peuvent être remises en culture par ses seuls fermiers, et les autres habitants ont déjà bien à faire à remettrent en état, le jeune seigneur n'a d'autres solutions que de leurs offrir en ascencements Dès 1668, nombreux sont ces contrats signés devant notaire, on en trouve encore en 1700 même en 1728…

 

Accensement d'une vigne de fief, actuellement en désert

Le 23 novembre 1692, Voici François Gazet du pays de Savoye, demeurant à Chaumercenne, il prend à titre d'accensement perpétuel de noble sieur Messire Jean Baptiste Richard seigneur de Villersvaudey et de Chaumercenne, Conseiller du Roy et auditeur en la Chambre des Comptes de Dole, un désert de vigne, de fief, situé au vignoble dudit lieu, es Vignes d'Arcen près le Village, d'un bon journal aux charges, clauses et conditions suivantes.

-tailler, empaisseler, lier, ébourgener, faire les relevés, déchausser les septs et donner à ladite vigne annuellement et en bonne saison 3 coups de fesoul et y faire des fosses autant qu'il sera nécessaire par chaque année, et au moins 6 par chaque ouvrée, faisant 48 pour ledit journal, à 3 bons plants ou chavons vifs la fosse pour maintenir toujours ladite vigne en bon état, mesme d'y mettre à ses frais de l'amendement c'est à dire de la terre ou maltraict dans les endroits où il sera le plus nécessaire...

L'acte est passé en la grande maison seigneuriale dudit lieu après mydy du 23è novembre 1692 par devant Jean Pernot d'Ouge, notaire royal résidant audit Chaumercenne en présence de Jean Claude Jarrot et Jean François Jarrot dudit lieu tesmoins à ce requis. (AHS 2E-6208) Image (5)

 

Un autre accensement perpétuel de plus grande ampleur est signé le 24 novembre 1697 entre Jean Baptiste Richard et les frères Claude et Henry Lambert de Chaumercenne. Il concerne16 ouvrées de vignes en désert, et de fief provenant du sieur Claude de Crécy ancien co-seigneur encore en 1632 de Chaumercenne (12 ouvrées à la Charière ou Vignes d'Arsans et 4 autres aux Vignes Guillaume). Les conditions du contrat sont les mêmes que précédemment : 2 parts de fruits sur les 5 au seigneur et les 3 autres aux frères Lambert.

 

Autre accensement

Il est fait par le seigneur possesseur du dernier douzième n'appartenant pas aux Richard de Villersvaudey

Dame Bonnaventure Pétremand, dame de Chaumercenne pour une part sur les douze de l'ex seigneurie de La Baume, décide de mettre en accensement perpétuel toutes ses terres de fief laissées en friches. Jacques Brtet vigneron du lieu est chargé de les rechercher où qu'elles soient et dont elle ne jouit pas. Lorsqu'il en trouvera une, il devra en avertir ladite dame et l'enregistrer sur le double de ces présentes. Ledit accensement est fait au rendage annuel et perpétuel de 2 parts de fruits sur les 5 parts faisant le tout, à la dame laissante et les 3 autres parts restantes audit Bretet.

Bien entendu, il ne lui rendra rien pendant les 5 premières années qui commenceront à pareille date de jouissance des héritages, à charge pour lui de bien et duhement les cultiver annuellement, en bonne et dehue saison et suivant les coutumes de Chaumercenne, à peine d'être déjetté des présentes, sans offence de justice, ny figure de procès, suivant que le tout a été ainsy convenu entre les parties . Image (6)

L'acte est passé le 8 may 1717, au château de Malans demeure de laditte dame épouse d Hyacinthe Berreur seigneur de Malans, pardevant Claude Jeannier notaire royal à Pesmes. (AHS 2E-9053)

 

Tous ces actes d'accensement de biens de fiefs accordés par les seigneurs de Chaumercenne concernent des vignes ; les terres ont-elles une importance prépondérante vis à vis des vignes ? Ont-elles été cultivées prioritairement par les fermiers et grangiers des seigneurs ? Leurs assuraient-elles des revenus plus considérables ?

En ce début de 18è siècle, tout est revenu dans l'ordre, il n'y a plus de risque de guerres, les seigneurs ont retrouvé leurs droits et cens sur les meix, maisons, terres et vignes dépendant de leur seigneurie, les biens ont maintenant des propriétaires dont certains sont de nouveaux habitants pour la communauté de Chaumercenne, comme ce François Gazet, et d'autres Savoyards, ou des Suisses même des Français,venus repeupler la Comté. D'autres problèmes à résoudre se présentent comme ce droit de four, qu'il règle en 1716, ou la confection d'un nouveau terrier qu'il revendique afin de bien préciser les propriétés de ses tenanciers et leurs limites.

 

-Mais le seigneur veut retrouver tous ses droits

 

Comme on vient de le voir précédemment, les biens de la population de Chaumercenne ont tous (ou presque) des propriétaires, anciens ou nouveaux et les terres et vignes des seigneurs du finage ont été remises en culture.

Mais quelles sont les réels confins de ces propriétés ? Les terriers de la famille Richard ayant été perdus pendant les guerres, quelles terres dépendent de telle seigneurie? quelles charges pèsent sur elles? leurs propriétaires sont-ils mainmortables de leur seigneurie ? Toutes ces questions, les seigneurs de Chaumercenne se les posent, en cause leurs revenus sous forme de censes, lods, amendes, commises et échuttes qui pourraient leurs échapper. Ce problème crucial pour la famille Richard seigneur de Chaumercenne, va se poser lors de la vente ou l'échange de biens entre les particuliers. L'acte obligatoirement passé devant notaire doit être transmis au seigneur pour avoir son consentement, encore faut-il connaître la seigneurie dont il dépend

Déjà dans beaucoup d' actes entre 1670 et 1700, les vendeurs ne peuvent la préciser, usant de formules alambiquées pour montrer leur méconnaissance, ou alors précisent que le bien est de franchise, sans plus de précision…

 

A quelle seigneurie appartient ce bien et quelles en sont ses charges ?

Voici Jeanne Rebilly épouse autorisée de Jean Baptiste Dessans de Chaumercenne ; le 10 février 1683, elle vend à Hugues et Médard Jarrot frères de Chantonnay, demeurant au dit lieu, 6 ouvrées aux Asnées, franches et quittes de toutes charges pour n'en avoir jamais payé, sauf et excepté les censes ou autres qui pourraient être trouvées dépendant de quelque seigneurie, pour 16 pistolles et demie en valeur de 16 frs et demi pièce, argent passé à la venderesse en 3 doubles pistolles marquées au coing d'Espaigne, pistolles de France, écus blancs et autres bonnes monnoyes. Le prix du rendage se monte à 272frs 3 gros faisant l'ouvrée, en vraie nature de vigne, à 34 frs. Image(7)

Cet acte souligne un autre problème dû au rattachement à la France : celui de l'usage des nouvelles monnaies françaises sans délaisser les anciennes monnoies comtoises. On y reviendra plus tard.

 

Le 7 décembre 1683, Anne Pensard de l'autorité de son mari André Ménestrier, vend à Jeanne Pélerin de Montureux un ouvée de vignes aux Asnées et 1 boissel de00 frs terre à Balandier dépendant lesdittes pièces de la justice des seigneurs de Chaumercenne (sans pouvoir préciser lesquels) pour n'en avoir jamais payé aucune chose, les vendant toutefois sous les charges telles qu'elles se trouveront affectées, pour le prix de 68 frs dont 51 payés en 2 pistolles d'or marqués au coing d'Espagne et le reste en écus blancs ; les 17 frs restants au 1er jour de l'an prochain 1684. Acte passé à Chaumercenne par devant le notaire Pernot.

 

Plus surprenant encore cet échange de biens opéré le 21 octobre 1693 entre Jean Baptiste Richard seigneur du lieu et Pierre Jacquin laboureur de Chaumercenne, qui lui cède la moitié d'un 1/2 journal de terre en chènevière au lieu-dit sur la Ville, la pièce est franche et déchargée de toutes charges ou autres servitudes, sauf qu'elle dépendra toujours de la moyenne et basse justice que ledit seigneur a au dit lieu, et de tous les droits dépendant de ladite justice suivant les ordonnances de la Province.

Autre formulation 

Le 23 mars 1694, un demi ouvrée de vigne aux Ongines vignoble de Chaumercene est acquis par Gaspard Courboillet du lieu, de Jean Claude Jarrot qui le déclare être chargé de ses charges anciennes, seigneuriales, foncières et accoutumées telles qu'elles se trouveront, ayant ledit vendeur déclaré par serment presté entre les mains du notaire Pernot, n'en rien savoir et n'en avoir rien payé…

Tous ces exemples de ventes de terres, vignes ou maisons précisent les droits connus ou incertains, ou totalement méconnus, mais aussi les montants de ces ventes. On constate qu'ils sont encore en ancienne monnoye et toujours pas en monnaie française.

 

-Les nouvelles monnaies

A la veille du rattachement de la Comté à la France, certains bas de laine sont combles, évidemment en monnoye du Comté.

Ainsi honeste Jean Dubois de Résiè peut prêter le 17 novembre 1677, à Messire Claude Pleureux et son épouse Jeanne Boitteux la somme en numéraires de 900 frs délivrés en mains en 50 pistolles d'or et de poids au coing d'Espaigne au feurg de 16 frs1/2 pièce, le reste faisant 75 frs particulièrement en écus et 1/2 escus blancs ayant cours…, somme que se propose de rembourser les 2 époux en une rente annuelle et perpétuelle de 63 frs dès la même date de 1678. Image (8)

 

Le passage de la Comté au royaume de France implique bien évidemment le remplacement progressif des pièces dites monnoyes anciennes du Comté en monnaies françaises, transfert plutôt long tant le Comtois est attaché à cet argent que ses ancêtres ont toujours utilisé.

Comment oublier ces pistoles marquées au coin d'Espagne, ces patagons toujours en service, pour des louis d'or frappés de têtes des monarques français qui ont ravagé leurs villages…

Pourtant il a bien fallu admettre ces nouvelles monnaies pour abandonner définitivement ces pièces comtoises. On était devenu français, plus aucun espoir de redevenir comtois…

Voici ces conversions entre les 2 types de monnaie.

 

La tradition est le franc (comtois) qui doit laisser sa place à la livre : 3 francs valent 2 livres

1 fr=12 gros, 1 gros=4 blancs, 1 blanc= 6 engrognes, 1 pistole=18 frs,1 écu blanc= 3 frs qu'il faut oublier pour s'en remettre aux nouvelles pièces françaises :1 livre= 12 sols, 1 sol = 20 deniers, 1 écu = 6 livres, 1 louis d'or = 24 livres.

Le paiement d'achats de biens en monnaies françaises n'est réellement pratiqué qu'à partir de 1700. Trois exemples parmi tant d'autres montrent cette persistance des nouveaux français à effectuer leurs achats en francs comtois.

Le 14 janvier 1694 Adrienne Guyotte épouse Jean Bourdeau de Chevigney vend à Jean Guillemain et son épouse Mari lizon de Chaumercenne des pièces de vignes et une chènevière sises à Chaumercenne pour la somme de 206 frs14 sols ancienne monoye du Comté, faisant 177 liv.15 sols 8 deniers monnoye de France payée en une constitution de rente au principal

 

 

 

 

 

 

Le 7 novembre 1695, Jacques Beuchey tailleur d'habits à Chaumercenne constitue une rente annuelle de 6 frs aux frères et sœur Charles François Xavier, Jean Claude et Claude Antonia Guelle pour un capital de 100 frs versés devant le notaire Pernot, en pistolles à la nouvelle fabrique, qu'anciennes pistolles au coin d'Espaigne, et escus blancs anciens et nouveaux et autres bonnes monnoyes ayant cours en ce pays et Comté de Bourgongne. Pourtant les acheteurs sont devenus français depuis 18 ans.

 

Le second exemple date du 16 mars 1714. Jeanne Jarrot de Chaumercenne et ses enfants héritiers de fut Gaspard Courboillet leur père vendent à Jean Claude Voiliot et Françoise Duranton demeurant à Vallay, toutes les pièces de terre qu'ils possèdent sur le territoire d'Authoreille, consistant en 21 éminottes et 4 journaux de terres labourables et 2 faux 1/2 de prels, déclarées mouvoir et dépendre de la seigneurie mainmortable du seigneur commandeur de Sales Montseugny et Sainte Cécille, le présent rendage ainsy fait pour le prix de 960 frs ancienne monnoye du pays revenant à celle de France à 640 livres, somme considérable que doivent acquitter les nouveaux acquéreurs, scavoir 500 frs susdite monnoye ancienne, réellement payés auxdits vendeurs en 3 louis d'or, 30 écus et le reste en monnoye qu'ils ont tiré à eux, et les460 frs restants ancienne monnoye en une rente annuelle et perpétuelle de 23 frs susdite monnoye ancienne payable chaque 16ème jour de mars, à commencer l'an 1715.

L'acte est passé à Chaumercenne pardevant Jean Vuillemot notaire royal à Venère, en présence de Jean Guyotte et Pierre Goudet de Chaumercenne témoins requis.

Il faut constater que le notaire mélange allègrement monnoyes ancienne et française… mais le prix de la vente, les montants versés et celui de la rente sont totalement en monnoye ancienne que vendeurs et acheteurs saisissent bien, alors que le numéraire est en monnaie française.

Autre remarque étonnante : les 3 louis d'or et les 30 écus ne représentent que 243 frs, moins de la moitié de la somme à payer comptant. En plus des 33 pièces déjà versés, les vendeurs ont donc dû retirer à eux un nombre considérable de pièces de moindre valeur (écus, 1/2 écus, livres et autres), le sac de pièces devait être bien lourd pour pour leur venue à Chaumercenne…

Le dernier mode de paiement en ancienne monnoye du Comté se retrouve dans les contrats de mariage. Le futur époux offre le jour de ses noces des joyaux nuptiaux à hauteur d'une certaine somme. Celle-ci est exprimée en francs jusqu'en 1705, comme d'ailleurs le douhaire qu'il lui accorde lors de son éventuel veuvage. Au delà de cette année ils sont payés en livres.

Le contrat de mariage sera traité ultérieurement dans un autre chapitre.

 

L'imposition française

 

En devenant français, le Comtois a perdu le droit le plus cher, inscrit dans le nom de sa province, la franchise devant l'impôt, la Comté n'a plus le privilège de voter l'impôt, elle habituée au don gratuit. Voici la Province soumise aux impôts royaux, nombreux et de plus en plus insupportables. La taille est l'impôt que paie tout particulièrement le paysan de la campagne sur le montant estimé de ses revenus, la noblesse et le clergé en étant exemptés. Au fur et à mesure des besoins royaux, notamment pour financer les guerres qui se présentent, ou de payer les dettes du royaume, ou encore à satisfaire les somptueuses dépenses de Versailles et de la Cour, le contribuable franc-comtois va voir arriver d'autres impôts dont il devra s'acquitter, même si certains comme la capitation en 1695 ou les dixième et vingtièmes plus tard seront aussi payés par les classes privilégiées, même si elles ne les payaient pas en plein.

 

Déclaration de biens de 1684

 

Afin de bien et mieux percevoir l'impôt de ces chers comtois, Monseigneur De la Fond l'Intendant de Franche Comté représentant le Roi dans la province, ordonne le 22ème mars 1684, de recenser tous les biens possédés par les habitants de chaque village. A Chaumercenne ceux-ci s'assemblent le 22 ème jour d'avril pour rédiger leurs déclarations, en présence de vénérable et discrète personne Messire Jean Collinet prêtre-curé dudit lieu et Jean Malgérard et Claude Beuchey échevins dudit Chaumercenne. Voici quelques déclarations :Image (9)

 

Jean Malgérard possède audit lieu 8 journaux de terre dont la moitié est bonne et le reste de peu de rapport, 15 ouvrées de vigne dont la moitié médiocre et le reste de peu de valeur, une petite maison, 2 bœufs, 1 cheval et 2 vaches. C'est un laboureur et un paysan aisé.

Hilaire Oudille déclare 1 journal de vigne médiocre et 4 bœufs qu'il tient de Daniel Sauvageot pour en cultiver ses terres, et une vache. C'est un métayer, il n'a pas de biens propres.

Henry Guyotte tant en son nom que de Gaspard son frère communier possède environ 40 journaux de terre, 1/3 bon un autre médiocre et le reste de peu de valeur, environ 55 ouvrées de vigne dont 1/3 bon l'autre médiocre et le reste de peu de revenus, 2 maisons dont l'une n'est que la moitié bastie, 4 bœufs, 1 poulain et 2 vaches. Ils sont de riches laboureurs et vignerons.

Claude Robert déclare qu'il a une maison, 1 journal 1/3 de terre, environ 13 ouvrées de vigne dont 7 sont en estat et le reste en friche, 1 cheval, 2 bœufs et 1 vache. Il est un paysan moyen, son bétail lui sert surtout pour cultiver des terres de Monseigneur l'auditeur seigneur du lieu, dont il est un des fermiers.

Barthélémy et Jean Baptiste Ligey frères possèdent une maisonmoitié ruyné et ledit Barthélémy dispose de 2ouvrées de vigne médiocre. Ce sont 2 pauvres paysans qui survivent comme manouvriers.

Claude Couboillet possède 3 journaux 1/2 de terre médiocre et 1 journal de vigne aussy médiocre et la moitié d'une maison.

 

Citons enfin la déclaration de biens de damoiselle Pierrette Febvre veuve de noble sieur Claude Antoine Guelle en son vivant Professeur à l'Université de Dole. Elle est une fille Guyotte dont les biens audit Chaumercenne sont considérables. Son héritage propre lui sera contestée plus tard par Benoit Richard le seigneur du lieu comme biens issus d'un ancêtre mainmortable Antoine Guyotte dit Quingey qui vivait au milieu du 16è siècle...En effet les 5 frères et sœursde Pierrette Guyotte étant morts sans héritiers, elle s'est discrètement emparée de leurs biens, mais les officiers du seigneur Richard ont réclamé l'échutte de ceux-ci dans un très long procès qu'ils ont gagné devant le Baillage de Gray.

Elle déclare ainsi 6 vingt (120) journaux de terre tant en chènevières qu'autres, desquels il y en a 80 en bon estat et le reste en friche dont on ne tire aucun proffit, 31 ouvrées de vigne en estat et 10 ouvrées en friche dont on ne retire rien, plus 2 maisons basties de pierre dont l'une menace ruine et 8 bœufs,4 vaches et 3 chevaux. Notons le bétail important dont dispose Pierrette Guelle pour faire cultiver ses terres et vignes.

C'est dire l'étendue des biens qui vont revenir audit seigneur quand on sait qu'en propre, elle n'aurait du disposer que du 1/6 de ces biens...
Remarques : En 1684, beaucoup de terres et vignes sont encore en friches, même certaines maisons d'habitation de particuliers sont en mauvais état ou en cours de reconstruction ; et le rattachement à la France date d'il y a 6 ans… Il y en a bien pour une trentaine d'années à reconstruire le finage de Chaumercenne, merci les Louis 13è et 14è de France.

 

Une autre nouveauté française : la gestion de la forêt

 

Fini la gestion comtoise de ses bois, la communauté de Chaumercenne doit se plier à la sévère administration des forêts française, réglée par la Maîtrise des Eaux et Forêts.

 

Le dernier juillet 1678, la communauté de Chaumercenne signe très probablement sa dernièreconvention sans l'agrément de l'administration forestière française. Elle traite avec le sieur Longeron marchand résidant au bois de La Grande Résie, pour la vente de la coupe de La Fan.

Les échevins Hilaire Courboillet et Pierre Guyotte Miland ont convoqué les habitants en corps de communauté sur la place publique. Après plusieurs montes, le sieur Longeron s'engage auprès de la habitants à couper le bois de la Fan dans les conditions suivantes.

Fera couper tant gros que petits à des charbonniers sinon la quantité de 6 baliveaux par arpent qu'il devra laisser

Pourra desdits bois faire marin, charbon ou aultres

Pourra distraire par les chemins communaux à peine de l'esmende du seigneur et des intérets, pour le terme de 3 ans.

Profitera de tous bois mort

Pourra faire champoyer tant audit bois qu'es terres vuides dudit finage les bestiaux que lui et ses ouvriers pourront avoir, à peine si mésus se trouve

Pourra si empêchement de couper ou distraire une partie du bois par le moyen de quelque guerre pouvant arriver en ce pays, ce que Dieu ne veuille, prolonger d'autant de temps qu'il en aura manqué.

Accordera aussi aux habitants dudit lieu la vive paisson dudit bois qui lui a ésté demandé

Le présent rendage est fait moyennant le prix et somme de 1034 frs 15 sols monnoye de ce pays et Comté de Bourgogne, pour lesquels il a déjà versé aux échevins et habitants 500 frs comptant, tant en escus blancs que pistolles d'or et de poids au coin d'Espaigne avec un quadruple au mesme coin (détails de la pistolle d'or d'Espagne). Les aultres 534 frs 15 sols, les échevins et habitants confessent les avoir eus et reçus dudit Longeron auparavant acte.

Cette somme était employée au rendage de deux principaux de rentes dues par la Communauté, l'une aux Annonciades de Gray pour 600 frs et l'autre au sieur Cadot prêtre-curé de Gray pour 400 frs. L'acte est passé par devant Claude Maistret notaire de Pesmes en présence de Joseph Menestrey et Pierre Vury illestéré maréchal résidant audit lieu.Image (10)

 

Les bois de Chaumercenne à la sauce française

 

L'ordonnance forestière française appliquée dès 1696 apporte la constitution d'une administration avec des règles strictes de gestion de la forêt définies par une maîtrise des Eaux et Forêts, pour notre secteur à Gray, avec officiers, huissiers, arpenteurs, greffiers, procureur du roi, pour conseiller, diriger, surveiller et vendre les bois. Fini le furetage, bienvenue aux coupes réglées et au quart mis en réserve ; la forêt est un bien national qu'il faut gérer savamment pour ne pas le voir dépérir. Les bois de chaque commune sont répartis en deux catégories, les ¾ consacrés au taillis, le dernier quart réservé pour obtenir de belles futaies surtout destinées à la Marine. Le taillis est généralement coupé au bout de 25 ans à la réserve de baliveaux destinés au repeuplement et à la production de gros arbres.

 

Les 2 et 3 octobre 1703, Claude François Violet advocat en Parlement, Conseiller du Roy et Maître Particulier des Eaux et Forêts de Gray, avisé de la non application de l'ordonnance forestière se voit contraint de venir visiter lui-même les bois de Chaumercenne. Son commis et procureur Anthoine Panssard a constaté que les habitants du lieu ont négligé de faire arpenter et figurer leurs bois, mettre les plans au greffe pour faire choix de leur quart en réserve.Image (11)

 

La visite des 5 bois de la commune par les officiers de la Maîtrise de Gray se fait en présence de Pierre Jacquin échevin de la communauté assisté de Gaspard Courboillet, Henry Guyotte, Pierre Oudille et Jean Claude Jarrot représentant les habitants du village. Le constat est sévère : la communauté a entièrement dégradé ses bois par des coupes dont elle a joui sans règle.

Le Deffoy d'environ 29 arpents est peuplé de quelques chênes de 15 ans d'âge, les autres sont ruinés pour avoir été coupé sans ordre et sans règle ; de la Bouloye de 154 arpents il ne reste qu'un tailly non défensable dans sa plus grande partie pour avoir été champoyé de toute part, la Fand de 45 arpents est tellement dégradé qu'il paraît être plutôt une broussaille qu'un bois, pour avoir été champoyé et broutté puis coupé sans lui donner le temps de renaîstre, le Coutot de 9 arpents et la Sablière de 2 arpents sont dans le même estat. Ces bois occupent une surface de 240 arpents, le quart à mettre en réserve doit donc faire 60 arpents à prendre dans les bois du Deffoy et de la Bouloy les moins dégradés.

Deux gardes sont désignés pour la conservation des bois : Gaspard Courboillet et Jean Claude Jarrot qui ont presté serment entre les mains du sieur Violet. Deux journées ont été nécessaires pour la visite des bois en question et la délimitation du quart en réserve.

Une seconde visite des bois de Chaumercenne a lieu en décembre 1726 en présence de Pierre Rousseau arpenteur juré en la Maîtrise de Gray, le Courtot est réduit en broussailles et la Sablière ne contient plus aucun bois. Le bois de Laffant est exploité pour le chauffage par coupes réglées d'environ 8 arpents ¾ par an, faisant la vingtième partie du restant de leurs bois, le quart de réserve prélevé auparavant.

Le 27 juillet 1727 les habitants de Chaumercenne obtiennent du Conseil du Roy que leur quart en réserve ramené à 58 arpents soit apposé dans le seul canton de la Bouloye, pour une plus grande facilité de surveillance contre le mésus (mauvais usage) d'habitants qui voudraient chaparder du bois vert ou mort.

Ce quart en réserve sera plus tard une manne pour les Communautés qui pourront envisager de grands travaux indispensables au bon fonctionnement de leur villages et au bien être de leurs habitants.

 

Ce passage à l'autorité royale de la Comté s'est faite difficilement car mal acceptée, les 3 guerres pour l'annexion ont ruiné les campagnes et leurs habitants, laissant derrière eux des souvenirs de morts et de désastres causées par ces troupes françaises. 30 ans après le rattachement le paysan comtois avait appris à devenir français.