F-Un futur évêque de Monaco à Chaumercenne

Jean Baptiste Guyotte évêque de Monaco

 

Voici l'histoire d'un modeste habitant de Chaumercenne, projeté au sommet des fonctions religieuses à Monaco, parcours très atypique qui mérite d'être retracé.

 

Les Guyotte Mourot

Jean Baptiste Guyotte naît le 9 septembre 1832 au foyer de Pierre François Guyotte (dit Mourot) et de Barbe Lambert sa seconde épouse. Son père a 36 ans propriétaire, réside en la maison des Guyotte Mourot, celle détenue actuellement par Michel Guyotte dernier représentant de cette famille Guyotte dit Mourot dont le nom rappelle l'ancêtre parti combattre les Maures il y a 550 ans. (Elle se différencie de l'autre famille de Guyotte aujourd'hui disparue, des Guyotte dit Milan dont les premiers à porter ce qualificatif furent les héritiers de ceux qui revinrent au milieu du 16è siècle, de guerroyer en Italie dans le Milanais en particulier, au service des seigneurs comtois alliés à la couronne d'Espagne).

Pierre François Guyotte le mourotais veuf en 1823 de Jeanne Lhuillier de Valay se remarie le 4 février 1829 à Barbe Lambert fille d'agriculteurs, alors que les autres Lambert du village sont des tailleurs de pierre. Premier mâle de la maison, il est choyé par ses parents, soutenus dans ses études par père  un homme instruit et cultivé. Remarqué très tôt par son jeune instituteur Jean claude Lavaux qui veut lui faire poursuivre ses études, il l'est tout autant par le curé de la paroisse Félix Etey qui le pousse à entrer en religion. Prisonnier du  conflit qui oppose instituteur et curé dont les rapports sont plus que tendus, Jean Baptiste choisit le second. Il est élève au petit séminaire de Marnay, puis entre au grand séminaire de Besançon

 

Jean Baptiste le religieux

D'abord nommé vicaire à Luxeuil puis ordonné prêtre en 1858, curé et aumônier de l'hôpital d'Oyrières en 1870, il professe d'abord les Sciences au Petit Séminaire de N.D de Conception à Besançon, puis les Humanités jusqu'en 1864, il a alors 32 ans. C'est à cette période qu'il fait la connaissance de l'abbé Charles Theuret natif de Vars qui en 1878 se voit nommer à la Principauté de Monaco pour lequel un décret pontifical l'institue évêque de ce nouveau diocèse : il en est le premier prélat français.

 

Jean Baptiste le monégasque

En 1883 un poste de vicaire général à Monaco est vacant suite au décès de son titulaire ; Mgr Theuret songe aussitôt à son ami de la Haute Saône Jean Baptiste Guyotte. Les qualités manifestées dans les divers postes qu'il a occupés, tant dans l'enseignement que dans le ministère pastoral, correspondent bien au  poste libéré, le plus haut grade religieux après celui d'évêque, bien sûr avec l' accord de Son Altesse Sérénissime Charles III. Ainsi par Ordonnance du 18 octobre 1883,  S.A.S.le Prince de Monaco agrée Mr l'abbé Jean Baptiste Guyotte en qualité de Vicaire Général de la Principauté, le décret ayant été signé le 7 octobre.

 Quelques mois après, Mgr Guyotte est nommé chanoine honoraire de Vintimille, puis par suite de l'élévation de l'église de Monaco à la dignité de cathédrale, tandis que son ami Mgr Thuret devient le premier évêque de Monaco Jean Baptiste Guyotte est nommé prélat domestique et archidiacre de la cathédrale, dignité du Chapître nouvellement érigé.

En pleine maturité, sa piété, sa science, son zèle et sa prudence ont fait de Jean Baptiste Guyotte une personnalité religieuse reconnue et appréciée dans toute la Principauté, capable de rendre de bons et longs services et seconder l'évêque dans l'administration spirituelle de son diocèse.

La mort, le 11 novembre 1903, de son ami et compagnon Charles Thuret institué évêque de Monaco  l'affecte beaucoup. C'est pourtant bien évidemment vers lui qu'on se tourne pour assurer la vacance du siège, il est alors élu Vicaire Capitulaire chargé de l'administration du diocèse jusqu'à la nomination d'un successeur, Mr de Curel l'ex vicaire général de Nimes, en octobre 1903. Fait chevalier de l'Ordre de St Charles le 12 novembre 1903, Jean Baptiste Guyotte reprend ses fonctions de Vicaire Général auprès de Mgr Arnal de Curel puis, en juin1915 réélu Vicaire Capitulaire par le Chapître de la Cathédrale, nomination ratifiée par  S.A.S. le Prince. Cette nomination sera la dernière de sa longue carrière, il décède le 5 septembre 1915 à l'âge de 83 ans.

Il aura cumulé durant son long mandat de religieux dont 32 ans dans le diocèse de Monaco, titres, fonctions et honneurs en France et dans la Principauté, car il fut aussi Prélat domestique de SA Sainteté le Pape, Archidiacre, Doyen du Chapitre de la Cathédrale St Nicolas de Monaco, Chanoine Honoraire de Nîmes, mais aussi Officier d'Académie.

Rêvait-il d'un poste d'évêque ? Le doute subsiste, surtout que la nomination vient de Rome. De toute manière, il aurait du quitter la Principauté même si le titulaire en place venait de décéder le 6 juin 1915. Un Bref du pape Benoist XV en date du 8 mai 1915 lui enlève ce mince espoir de rêver au poste d'évêque de Monaco, nommant à ce poste, sur proposition (celle du Prince), Mr l'abbé Gustave Vié, Vicaire Général d'Orléans, nomination enregistrée par Conseil d’État de la Principauté le 6 juin 1915, jour du décès de son ancien titulaire. D'autre part il tenait trop à mourir dans sa Principauté, là où tous les honneurs lui furent accordés ; pour témoignage ses obsèques relatées ci-dessous.

 

L'enterrement de Jean Baptiste Guyotte

Les obsèques de Jean Baptiste célébrées le 7 décembre en la Cathédrale de Monaco sont grandioses.

 Le convoi funéraire précédé des pensionnaires de l'Orphelinat, des enfants des Ecoles communales, du Patronage St Charles, se composait du char funèbre sur lequel était placé le cercueil contenant la dépouille du défunt ; sobriété exigée par le défunt : ni fleurs ni couronnes. Suivaient les membres du Chapitre et du Clergé un grand nombre de dames des Communautés religieuses, des personnalités, notabilités, fonctionnaires et le concours recueilli de la population.

Le convoi s'est rendu  en la Cathédrale dont l'entrée et l'intérieur étaient tendus de draperies noires ; au cœur de la nef avait été érigé un catafalque  sur lequel étaient placés les ornements sacerdotaux du prélat ainsi que sa mitre de Vicaire Capitulaire. Au cours de la messe chantée par 3 abbés vicaires de la Cathédrale, la Maîtrise exécuta du plain-chant.

 A l'issue de la messe, le convoi s'est dirigé vers le cimetière de Monaco où l'inhumation eut lieu dans un caveau privé.

Ainsi s'achève la vie de Jean Baptiste Guyotte, bien loin de son petit village comtois où il avait vu le jour. Sa tombe à Monaco ne doit sûrement pas comporter d'épitaphe, au contraire de celle de son père Pierre François Guyotte, qui avait demandé qu'on grave sur la sienne au cimetière de Chaumercenne : Il a aimé la justice et haï l'iniquité.

 

Ironie du sort

En juillet 1866 sa sœur Addélaide Guyotte se mariait à l'âge de 36 ans avec un veuf bien connu de Jean Baptiste, son propre instituteur et  celui de sa sœur : Jean Claude Lavaux (47 ans). Il entrait dans la pieuse famille des Guyotte Mourot comme un loup dans la bergerie ; quelle fut la réaction de notre vicaire de Monaco, tout entier consacré à la religion à l'arrivée de cet homme que le curé Etey de Chaumercenne qualifiait ainsi  : Fils d'instituteur, en entrant dans cette race, il en a reçu aussi les vices ; pauvre en foi comme en piété il a négligé toutes ses fonctions religieuses de clerc et de chanter (la messe) et d'assister les malades. En revanche il chante le soir dans les rues, c'est un coureur de nuit. Ses amis sont les bandits du village ; sa conduite immorale surprend encore.    (Lettre du curé Félix Etey à son Archevêque en date du 4 août 1841 qui voulait des informations sur l'instituteur de Chaumercenne)

Jean Baptiste a-t-il été informé du mariage de sa sœur chérie avec son instituteur ? A-t-il refusé de rentrer spécialement à Chaumercenne pour raisonner Addélaide ou lui souhaiter bonne chance ? Dommage qu'aucun courrier entre eux deux n'a pu être retrouvé, il aurait permis d'éclairer ces points et aurait été très intéressant à lire...