B18-Les Prisonniers

Les prisonniers

 

La déroute française devant les troupes de la Wehrmacht en seulement six semaines s'est matérialisée par deux encerclements , l'un dans le Nord en mai, l'autre à la mi-juin dans le Nord-Est. Près de 1 million 500 000 hommes sont faits prisonniers, pour certains d'abord dans des camps en France : Pithiviers, Châteaubriant ou Langres par exemple, avant d'être évacués vers l' Allemagne ou ses nouvelles possessions, où ils deviennent officiellement des prisonniers de guerre rassemblés dans des Oflags (pour les officiers) ou dans des Stalags (pour les soldats de troupes ou les sous-officiers).

Ces camps sont repérés  par un numéro écrit en chiffres romains définissant la région militaire où est implanté le camp, suivi d'une lettre qui le particularise parmi tous les camps de cette région. Ainsi pour le Stalag XIII C : XIII donne la région militaire de Bavière, C précise le camp de Hammelburg.

 Les prisonniers vont vivre ces longues années de détention, loin de chez eux, dans des conditions très différentes : dramatiques pour certains, moins pénibles pour ceux travaillant dans les fermes allemandes. Le travail et la nourriture influenceront beaucoup sur leur mental et leur santé.

Après le passage éclair des troupes allemandes victorieuses, on voit se traîner les trop longues files de prisonniers rejoindre les grandes gares de la région, en particulier celle de Besançon.

Au 25 juin, l'administration grayloise estime à 1500 le nombre de prisonniers  internés en la la Caserne de Gray. Pour leur subsistance, la ville de Gray en assure la majeure partie, complétée par les communes très agricoles des environs qui les pourvoient en pommes de terre très majoritairement. Ces prisonniers quittent Gray le 27 juin

A Venère, ce convoi traverse le village, escorté par une dizaine de soldats allemands ; la chaleur est étouffante. Un des prisonnier à la vue de la fontaine veut se rafraîchir, il se met la tête dans l'eau, alors un soldat allemand lui assène 3 coups de crosse de fusil dans le ventre afin qu'il regagne le rang ; pareille scène se renouvelle plus loin à Bonboillon mais le besoin de s'hydrater est plus fort que la douleur. Ces passages de prisonniers ont fortement ému la population de ces villages, leur détresse en fit pleurer beaucoup, jusqu'à regretter de les avoir vus passer...

 

Quelques cas de prisonniers français

 

 Un soldat évadé bêtement prisonnier

Voici Basile Bain de la Grande Résie, soldat  sur le front de la Somme. Prisonnier et désarmé, il arrive à s'enfuir, puis bat retraite en tenue militaire. Il s'oblige à prendre les chemins de bois ou les petites routes que les armées allemandes ne risquent pas d'emprunter dans leur course vers le sud. Il arrive ainsi à Valay content de ne pas avoir été repris. La boulangère, Valérie Oudin l'avertit : --fais attention,il y a des Allemands dans Valay, un est même en poste devant chez Charpillet, viens je vais te donner des habits civils.

 Plus fanfaron que réfléchi, Basile refuse l'offre, --je viens de faire 300 km, des Allemands, j'en ai vu partout, et ils ne m'ont rien dit--. Il se présente devant la bâtiment Charpillet. Avec la grande croix gammée qui pend sur l'édifice, il doit bien savoir que c'est le siège de la Kommandatur…Pourtant il s'exhibe et frime devant les soldats de garde mettant bien en évidence sa musette de soldat français..

Ce comportement déplacé déplaît aux Allemands qui l'arrêtent pour vérification de ses papiers, ces derniers n'ont aucun doute sur la nature  de l'individu. Basile Bain va rejoindre ses anciens camarades qu'il avaient quitté peu avant, mais cette fois en Allemagne. Il n'avait pourtant plus que quelques km à faire pour retrouver les siens, il devra attendre 5 ans pour les revoir…

 

le prisonnier s'évade

Maurice Hurtard est instituteur à Pesmes. Mobilisé, il est envoyé au front, puis fait prisonnier par les Allemands et dirigés comme beaucoup des siens au camp de Pithiviers. Son épouse a connaissance du lieu où il est retenu, et va à sa rencontre emportant avec elle des habits civils. Maurice réussit à se faire embaucher comme plongeur à l'hôtel du Gâtinais. Sous officier, il peut sortir du camp en tenue militaire, Arrivé à l'hôtel il revêt les habits civils et un jour d'août, voyant les prisonniers partir pour l'Allemagne, il délaissa le camp, et avec 2 autres soldats il regagne la Franche Comté. Au retour à Broye, des Allemands occupent 2 pièces de sa maison. La rentrée scolaire arrivant, il reprend ses fonctions malgré sa dénonciation à la Kommandatur par la demoiselle Th. De Pesmes.

 

Paul Courboillet de Chaumercenne, sergent d'active dans une compagnie de mitrailleuses du 27 RI est fait prisonnier le28 mai à 19 h 30, dans les environs de Lille où le colonel du régiment est mort, les soldats français mais aussi allemands rendent hommage à sa dépouille. Les prisonniers sont rassemblés, le général Juin l'est aussi.

Le lendemain tout le monde est réparti sur plusieurs colonnes, direction Lille, puis Tournai en Belgique le 1er juin jusqu'à Hal le 4 ; le train à bestiaux pour la Hollande et l'Allemagne. A Aix la Chapelle ils sont 55 par wagon, dépassent Nuremberg le 11 juin, puis Vienne. Les prisonniers rejoignent le 3 juillet le camp de Kaisersteinbruck : Stalag XVII A, en Autriche. Le train les fait traverser le Tyrol, passage à Braunau le village d'Adolf Hitler. Libéré le 14 mai 45, un bimoteur de 25 places  survole le Danube, puis Stuttgart, Metz une heure plus tard, pour arriver à Paris à 23 heures.

 

Germain Raillard de Venère est soldat dans les troupes du Nord-Est qui battent retraite vers le Sud pour éviter d'être prises dans l'étau allemand. Un groupe d'une demie-douzaine d'hommes s'est formée depuis Rethel dont Lucien Jussier d'Aubigney, Auguste Robichon de Champvans les Gray et Paul Millot de La Grande Résie ( ils ne se quitteront plus jusqu'à leur libération), ayant encore leurs chevaux (celui de Lucien tire une roulante). Fatigués de marcher, ils trouvent refuge chez une cousine de Germain à Fleurey sur Ouche. Reposés et ravitaillés, les hommes et leurs chevaux n'iront pas loin : des éléments de la 2ème Panzer les font prisonniers le 17 juin 44, à St Seine sur Vingeanne en Côte d'Or. On a parlé de dénonciation depuis Fleurey...

Germain et ses collègues sont transférés à Dijon au fort de Longvic. L'épouse de Germain, avertie de sa présence au camp, réussit à le voir ; -- il te faut une demande de la mairie sollicitant ma libération plus facilement accordée aux cultivateurs, mentionnes bien que j'ai 3 enfants--. Les autorités allemandes exigèrent davantage car la mairie omit d'inscrire les 3 enfants sur la demande…

Deux jours après, Germain prend le train pour l'Allemagne pour cinq longues années.

Dans son premier camp d'internement, Germain est interné au stalag VI C de Bathorn dans le Nord Ouest de l'Allemagne. Il creuse des tranchées, la terre du fond est remontée en surface et inversement… et tout ça pour une soupe d'orties. Il est ensuite transféré ainsi que ses autres amis de guerre, dans une grande ferme jusqu'à la fin de la guerre. La culture et le bétail, il connaît ; la vie y est plus agréable. Pour  la nourriture, des patates et du lard le midi ; pour le dîner, ils doivent se débrouiller. Germain ne rentrera à Venère qu'en avril 45, heureux de revoir son épouse et ses trois enfants qui ont bien grandi.

A Venère six hommes ont été faits prisonniers, trois célibataires et trois hommes mariés dont Germain Raillard.

 

Charles Thoret de Cléry est de la classe 16, il combat dès les premiers jours de la guerre au Luxembourg, près de Longwy au 248è Régiment d'Artillerie sous les ordres du colonel Gérard de Dijon, les violents accrochages des 12, 13 et 14 mai avec les Allemands font 203 morts dans sa section . Peu après est hissé le drapeau blanc. Prisonnier à Toul, il pense comme ses collègues qu'ils ne pourront emmener tout le monde et qu'ils vont être gardés sur place, surtout qu'ils sont en possession de plus de 2 000 chevaux…

Couchés sur la paille, ils attendent la décision des vainqueurs. Les Allemands décident d'abord le transport des chevaux outre-Rhin par trains complets, Charles fait partie des hommes capables de les conduire ; le premier train à destination de Cologne, le second à Dusseldorf. Le pillage commence.

Au tour des hommes, ils sont expédiés par trains, empilés les uns contre les autres, 45 par wagon : rien à manger si ce n'est un petit paquet de gâteaux pour 3 ou 4. 2 jours et demi pour rejoindre Berlin, puis une attente sous un soleil de plomb avant de repartir pour Furstenberg à la frontière polonaise. Descendus du train, ils sont conduits au camp, une grande pancarte sur laquelle est écrite --Da viel Strafen-- (ici, beaucoup punir), très accueillant comme le sont les enfants, femmes et vieillards par leurs crachats et injures lancés aux prisonniers…Charles porte le n° 40239 au Stalag III B.

Pour le travail, un ancien terrain d'aviation, deux groupes de 500 prisonniers, une pelle à la main chacun, une carrière des sable, leur mission : charger de sable des wagonnets accrochés les uns aux autres, à raison de 15 mètres cubes chacun par jour.

Les horaires à respecter : 7 h 1/2-11 h1/2 le matin et une gamelle de choux raves et carottes cuites pour le déjeuner puis 13 h1/4 - 17 h, jusqu'à ce que le quota de sable soit chargé. Le soir une boule de pain pour 5 et un morceau de viande (on ne sait pas exactement ce que c'est et on ne cherchepas à le savoir!). Côté physique, les prisonniers sont couverts de poux et de puces… Mais le plus dur, c'est l'absence de courrier de la famille avant le mois de février 1941 !.

Un jour la carrière de sable s'est mise à glisser ensevelissant Charles jusqu'au coup. La réaction rapide de ses camarades  l'a sauvé, malgré l'injonction faite par le gardien allemand à ses sauveteurs de reprendre le travail. Charles en jeta de rage sa pelle dans les pieds du gardien qui lui asséna  de grands coups de bottes dans le dos…

Sérieusement blessé, incapable de travailler, l'intervention d'un contrôleur belge des conventions de Genève présent ce jour là, ainsi que celle d'un médecin thèque, permit à  Charles d'être soigné puis arrêté de travailler. Il est mis plus tard dans un  autre service, emmanchant les pelles des travailleurs jusqu' en mars 41…

En mai Charles est parmi les 150 prisonniers du camp à reculer en Allemagne (se rapprocher de la frontière française). On l'embauche dans une ferme allemande jusqu'à la libération, la vie y est plus agréable, il peut y terminer sa convalescence, avec les compliments du fermier. Le camp à Furstenwall ( il faudrait dire les deux camps qui se partagent les quelques 10 000 prisonniers) est libéré par les Russes le 17 avril 1945, à 5 heures du matin. Les ex-prisonniers sont obligés de suivre et se mettre en arrière des troupes russes qui avancent de 40km par jour, sans faire beaucoup de détails avec les soldats allemands en retraite, ni aussi avec la population des villages traversés. Pour leur nourriture, les Russes les autorisent à tuer le gibier, du jeune lapin au grand cerf…

Finalement nos ex-prisonniers quittent les Russes le 1er juin 45, pas question de passer par Odessa grand port de la Mer Noire, il n'y a plus de bateaux. Alors ces mêmes Russes les transportent dans leurs camions (150 sont nécessaires) jusqu'à Berlin, puis en avions (25 à 30 hommes par avion de guerre) de Lahr (à 150km de Berlin) jusqu'au Bourget.

 

Paul Charreton de Malans rappelé  fin 39 combat en Hollande, son régiment se replie sur Dunkerque où il est refoulé par les Anglais, puis fait prisonnier près de Lille. Les rescapés de son régiment sont dirigés sur Maastricht, dans des conditions déplorables : à pied, une quinzaine de jours à marcher, et comme seule nourriture des pissenlits arrachés des prairies pendant les pauses, la population hollandaise les prend en pitié, offrant eau et lait dans des baquets que leurs gardiens allemands renversent avant qu'ils n'aient bu, alors ils lèchent le précieux liquide à même le sol...Coups de crosse dans le dos ou coups de pied dans le ventre pour les faire avancer, pire qu'à des chiens. Il fait connaissance avec le « goumi » : matraque en caoutchouc que l'on assène sur les reins, à effet garanti...

Traversée de la Pologne pendant plusieurs jours, en trains dont les wagons destinés originellement au transport de bestiaux sont cadenassés. Les premiers repas distribués le sont à leur arrivée en Prusse Orientale : 100 g de pain par jour et un petit morceau de margarine ou de la fameuse confiture faite à partir du charbon, infecte mais on la mange quand même, il faut bien se nourrir.

A l'arrivée, ils sont triés ; les seigneurs allemands viennent faire leur marché de main d'œuvre, comme à une certaine époque en d'autres lieux… Paul est choisi par le baron Von Groeben : parlant un peu l'allemand, Paul devient interprète, poste privilégié donc, bonne nourriture : patates le midi et patates le soir mais pour Noël, jambon fumé.

Une première tentative d'évasion le fait revenir simple employé dont une corvée est de nettoyer les pavés du mausolée de Brunswick. La seconde tentative en plus des 27 jours d'isolement le renvoie piocher les betteraves sucrières dans une ferme de 5 000 ha. Un rang dans la journée relève de l'exploit, chacun mesure entre 1 500 et 2 000 m de long...Pour l'arrachage, les feuilles coupées servaient à l'alimentation du bétail, les racines bien sûr pour la fabrication du sucre. Les prisonniers n'oublient pas d'en détourner pour leur compte personnel : ils arrivent à faire une mélasse qu'ils arrivent à apprécier ; les gardiens allemands ferment les yeux…

Une dernière tentative d'évasion le conduit dans les tourbières : le corps enfoncé jusqu'au ventre, il récupère la tourbe pour le chauffage, mais les pieds gelés. Il se retrouve finalement dans un kommando à Rastenburg à battre  des gerbes de céréales chargées sur une centaine de voitures à chevaux, une machine à vapeur pour actionner la batteuse.

Les Russes viennent les délivrer à la frontière de la Lituanie et de l'Estonie (la Lituanie est alors devenue province soviétique et l'Estonie allemande). ils piquent à chaque prisonnier ce dont il dispose en particulier la montre ou la paire de lunettes…

Le retour se fait par trains, depuis la Prusse, mais que d'arrêts, de changements pour des lignes coupées ou pour des pannes. La liberté est en gare de Strasbourg, puis Paul fait du stop jusqu'à Auxonne où un brave bistrotier le ramène à Malans. Il est 4 heures du matin le 5 juillet 1945, n'oublions pas que l'Armistice a été signé le 8 mai…

 

Le cas de René Fleutot de Germigney mérite d'être cité. Sous officier, son régiment  le 21è de la 21è RI, chargé de relever un régiment anglais près d'Amiens doit battre en retraite le 12 juin40. Dans Paris déclarée ville ouverte, il est désarmé par les autorités en place pour finir à Celles sur Cher dans le Loiret où des soldats d'un char allemand le font prisonnier. Le camp d'Orléans puis la déportation en Prusse pour remplacer des Tirailleurs Marocains renvoyés car incapables de supporter la dureté du climat. René intègre le stalag II B d'Hammerstein, une quinzaine de baraquements contenant une cinquantaine de prisonniers, leur lieu de travail : trois fermes encadrant des champs. De petits paysans avec peu de matériel, un cheval ou deux mais rarement un tracteur, qui cultivent beaucoup de seigle, des choux-raves pour les bêtes, et des pommes de terre (en septembre-octobre elles ne sont pas encore arrachées). Pas de foins pour les bêtes (paille coupée et bottes de seigle, orge et avoine), ni pour les vaches ni pour les chevaux( demi-sang) et peu de force pour tirer.

 Les Allemands, à l'approche des Russes quittent le camp dans la neige et le froid. En février 45, un colonel russe parlant bien le français leur annonce qu'ils sont libérés, mais aussi qu'ils doivent quitter le camp. Renvoyés en arrière de leurs troupes, ils atteignent Friedland puis font route vers la Pologne (en sabots de bois), Prague avant d'entrer en Ukraine (environ 500 hommes) où ils devront attendre. En gare de Yalta, ils admirent un superbe wagon gardé par des soldats soviétiques, ils ne savent pas que c'est le wagon où Staline, Churchill et Roosevelt ont signé les fameux accords. Les Russes les promèneront encore 4 mois et1/2 avant qu'ils n'embarquent en trains vers la France. Partis le 9 juillet,ils traversent la Pologne puis la Hollande, la Belgique, franchissent les Ardennes pour arriver le 7 août près de Valenciennes, 3 mois après la signature de l'Armistice...

 

 

Dans certaines familles deux frères sont prisonniers, c'est le cas des Hug de Valay. Hippolyte est à Rethel dans les Ardennes, sa compagnie d'infanterie doit déposer les armes ? Des fusils mitrailleurs contre des chars, à quoi bon  poursuivre : la compagnie est alors dirigée sur le camp de Lunéville puis envoyée en Poméranie à l'Oflag II D, à 80 km de Stettin.

Sa mère  réussit, grâce à sa collaboration avec un journal allemand : le RNP,  à le faire rentrer en France en juillet 41. En revanche pour Frédéric, c'est un échec. Dans l'administration militaire à Dole( service de l'intendance), il s'enfuit à l'arrivée des Allemands le 15 juin mais est rattrapé par les avant-gardes allemandes à l'As de Pique. Prisonnier, il est envoyé en Westphalie au camp VI A de Hemer, comme Marcel Renard de Pesmes, Georges Bérille et Jean Vernier de Cugney. Il sera cependant en 1942 rapatrié en France comme malade et hospitalisé au Val-de-Grâce à Paris.

 

A Chaumercenne, les deux frères Armand et André Fraumont sont aussi prisonniers des Allemands. André, après la campagne de la Somme, est arrêté par une patrouille allemande, transféré dans un stalag en Poméranie, puis à Berlin où dans des conditions inimaginables de vie, plutôt de survie, il assiste à la prise de la ville par les Russes. La délivrance a lieu le 25 mai 45, mais il ne rentre à Chaumercenne que le 8 juin, la veille du retour de son frère Armand, lui aussi prisonnier en Allemagne, Ce n'est pas tout  pour cette famille, puisque leur sœur Jeannette rentrée de Tunisie, les a précédés de quelques jours ; 5 ans qu'ils ne s'étaient pas revus !

 

Gaston Roux de Velet fait partie du  personnel sanitaire, il est brancardier au 60è RI. Envoyé sur la Somme où la campagne est meurtrière (350 tués et un millier de blessés dans son régiment), il est lui même blessé par balles en évacuant un autre blessé du front. Déclaré captif le 15 juin 40 dans les Côtes du Nord à Val André, interné à Dinan jusqu'en septembre 40, puis au Frontstalag 141 de Vesoul sous le n°4894. Son statut de brancardier lui permet de circuler librement parmi les prisonniers français que les Allemands ont envoyés travailler dans la forêt de Montarlot, mais aussi parmi les soldats allemands chargés de les surveiller.

Un Ausweis de Kriegsgefangener (laisser-passer de prisonnier de guerre lui est accordé. Il est même rétribué à 1 Mark par jour. On le démobilise en avril 41 et perçoit un costume civil,une paire de chaussures et une paire de chaussettes. Il se retire chez lui à Velet. Il doit néanmoins régulièrement se présenter au bureau de la Kommandantur de Gray avec appel du nom des prisonniers dans la cour de la rue Victor Hugo. Cette attestation de présence se fera jusqu'aux derniers jours précédant la libération de Gray.                                         Image(01)

 

Un prisonnier heureux

Le père de Monique Beuraud de Montagney, Mr Jeanneret de Jallerange est prisonnier en Allemagne au Stalag 11 B, il travaille dans une ferme. Comme père de famille de 3 enfants, il est choisi parmi tous les prisonniers, à bénéficier de la relève : 1 prisonnier libéré contre 3 Français volontaires au travail en Allemagne (STO).  Ce cas d'échange est rare, bien peu de jeunes ont été volontaires pour le STO ( Servi

ce du travail obligatoire). Ainsi Monique Jeanneret retrouve son père à Jallerange en janvier 1942.

 

Un prisonnier libéré mais gravement blessé

Louis Perlo, caporal dans la 2é compagnie du 42è BCP (bataillon de Chasseurs à pied) fait partie des nombreux soldats engagés en Belgique, il est des combats de Lignières et de Guerbigny dans la Somme. Le repli effectué le 8 juin 40 va mal se passer ; le lendemain il est blessé aux environs de Montdidier lors  d'affrontements avec des engins blindés allemands, les tirs d'une mitrailleuse  le couche au sol. Hospitalisé le 10 juin à Mons en Belgique, puis à Enghien, toujours en Belgique ; il est amputé de la cuisse droite 2 jours plus tard et soigné pour une plaie au mollet gauche,

Curieusement ce sont les Autorités allemandes qui le réforme, le 28 octobre à l'hôpital d'Enghien et le lendemain, il quitte cet hôpital. Le Hauptmann(capitaine) commandant la Ortkommandatur (Kommandatur locale) de Soignies (en Belgique) le libère officiellement ce même jour.

Son retour en France le fait passer par Dijon où le 6 novembre 1940 il reçoit son avis de démobilisation.                                                     Image(02)

 Il est ensuite réformé à Dijon le 27 décembre 40, déclaré invalide à 90 % ,+5 %. Le 18 février 1941, le général Huntziger Commandant en chef des Armées lui confère la Médaille Militaire et lui attribue en outre la Croix de Terre avec Palme.

Le camp

C'est un site entouré de fils de fer barbelés, encadré  de miradors occupés par gardiens, des militaires allemands armés ; à l'intérieur des baraquements en nombre variable suivant l'importance du camp. Chaque chambrée contient environ une douzaine de lits à trois étages pour une quarantaine de prisonniers.

Voici Ulysse Guilleminot de Cresancey, fait prisonnier à la frontière belge, il est envoyé dans le Stalag II B de Furstenberg en Poméranie. La journée, il travaille dans une ferme et s'occupe du confort dans les baraques. On le voit ici à l'épreuve de la scie (à droite) en compagnie d'un autre prisonnier.                                                                       Image(03)

Après le lever vers les 5 heures du matin, rassemblement au centre du camp avec appel des prisonniers ; le départ pour le lieu de travail plus ou moins éloigné du camp puis le retour au baraquement, le coucher a lieu vers les 19 heures. Le repas de midi est pris sur le chantier, souvent le soir c'est la débrouille comme ravitaillement.

Voici mon oncle André Thiébaut avec ses compagnons prisonniers devant leurs baraquements du camp X B de Sandbostel près de Lubeck.                      Image(04)

Pour soulager la vie du prisonnier, il y a bien sûr les lettres et les colis envoyés par les familles. Ce sont les seuls liens entre le prisonnier et les siens.

 

Le courrier de la famille

Dès connue la destination du prisonnier, ce dernier donne signe de vie à sa famille en lui communiquant son adresse au camp. Certaines ne connaissent cette adresse que plusieurs mois après l'arrestation du  militaire. Celle-ci reçue, le courrier circule de façon fort correcte. Le prisonnier répond par une lettre de format spécial à trois volets de la Kriegsgefangenenpost : correspondance des prisonniers de guerre, franc de port. Deux languettes permettent le repliement de la lettre ainsi prête à l'envoi.

Robert Duval prisonnier n°84738 au Stalag X A de Sandbostel, Kommando 1433 envoie un courrier à Georges Fassenet  résidant à la ferme de Magney près de Sornay. Parfois une lettre est jointe au colis du prisonnier.                                                            Image(05)

Voici le courrier de PierreLoigerot prisonnier n°77481 au Stammlager XI B à ses frères et sœur, il y décrit la vie au camp et les évasions qui leur valent des privations, sans oublier l'impatience du retour à la maison, elle est datée du 25 août 1943 ; il devra encore attendre 1 an et demi...Est jointe la lettre d'envoi de ce même Pierre Loigerot à son beau-frère André Thiebaut ex-prisonnier du camp X B de Sandbostel                                          Image(06)              Image(07)

 

Le colis du prisonnier

Il est le plus attendu au camp, il constitue un apport appréciable au niveau de la nourriture, la plupart des prisonniers se plaignent du peu qu'on leur donne à manger et surtout de la pauvreté du plat, pomme de terre souvent à l'eau, rarement de la viande sinon du lard. Alors le saucisson, le comté et les pâtes, le chocolat, le pain d'épices et les gâteaux secs sont les bienvenus, sans oublier les paquets de « gauloises » ou le tabac ; interdit le vin et autres alcools.

 Les colis de nourriture portent l'étiquette bleue, en principe un colis de 1 kg par mois ; les colis de vêtements et de linge, l'étiquette bleue,1 colis de 5 kg tous les 2 mois.

L'apport des colis de vivres offre environ 200 g de nourriture supplémentaire par jour au prisonnier  pour améliorer son ordinaire et son moral.

Mlle Camille Fassenet de la ferme  de Magney adresse à Louis Burnel n° 30568, prisonnier au Stalag VI J de Krefeld, un colis de 1 kg de nourriture , visible par l'étiquette bleue. A l'arrivée au camp le colis doit subir le contrôle habituel par un personnel du camp, la surveillance du contenu laisse parfois à désirer ... 

Dans ses colis, Ulysse Guillemot ne veut que des madeleines à grignoter. Quand il en dévore quelques unes, il se revoit à Cresancey…

Bien sûr, chaque famille envoie son colis à l'époux ou au fils prisonnier, accompagné de la lettre rendant compte de la vie au village, de la progression des travaux agricoles. Marguerite Raillard, à l'un des anniversaires de son mari Germain, y a ajouté une délicate attention : une bouteille de vin, ce qui est strictement interdit. La poste allemande ne contrôle pas le colis, ni au camp qui laisse passer. Marguerite avait inscrit sur l'étiquette : -- l'élixir du père Charpillet--, annotation qui l'a toujours fait rire ; Germain lui recommanda de ne plus renouveler l'opération…

 

Aide aux prisonniers français

Dans les villages, des bénévoles mettent en place des manifestations dont les recettes sont destinées à l'achat de colis pour les prisonniers du canton.

Ainsi Robert Mandret percepteur à Pesmes et demeurant à Sauvigney organise des matches et tournois de football ; pendant la mi-temps qu'il fait durer le plus longtemps possible ( 3/4 heure voire 1 heure), il vend aux enchères les produits de la ferme tant convoités par les citadins qui ne trouvent plus rien sur les étals..

Il dispose ainsi d'un petit comité composé de jeunes filles et garçons de Sauvigney qui récupèrent poules, œufs, volailles, lapins donnés par les paysans du coin. Dans la semaine qui précède le match, ils se rendent dans les villes de Gray, Besançon ou Dijon pour informer la population qu'une vente de produits fermiers aura lieu ? Le bouche à oreille fonctionne à merveille puisque à chaque manifestation, une foule immense se presse autour du terrain situé sur la route de Broye. Ils n'attendent que la mi-temps pour effectuer le ravitaillement en nourriture. Tout le monde ne peut acheter tant le rassemblement de spectateurs est imposant, rendant indispensable la vente aux enchères. Mr Mandret juché sur le plateau d'un chariot anime cette vente ? L'énorme bénéfice réalisé n'est destiné qu'à une œuvre bienfaisante : les colis aux prisonniers et en priorité ceux du secteur de Pesmes.

L'argent collecté permet d'acheter des articles autorisés dans les colis, colis préparés à Sauvigney par les jeunes, d'autres livrés directement à la Croix Rouge.  Il recevra pour son action en faveur des prisonniers, les félicitations du Comité Central d'Assistance aux Prisonniers de Guerre en Captivité (organisme dépendant de la Croix Rouge Française)  le 31 octobre 1945.  Image(08)

Robert Mandret n'était pas un passionné de football, pour lui seul l'argent récolté l'intéresse : donner du réconfort à ces prisonniers dans les stalags constitue la seule raison d'organiser ces rencontres.

 sportives. Elles ont commencé dès que les familles eurent connaissance du lieu de l'internement de leurs soldats et se sont poursuivies jusqu'en mai 1945.

Bien sûr, chaque famille envoie son colis à l'époux ou au fils prisonnier, accompagné de la lettre rendant compte de la vie au village, de la progression des travaux agricoles. Marguerite Raillard, à un anniversaire de son mari Germain y a ajouté une délicate attention : une bouteille de vin, ce qui est strictement interdit. La poste allemande ne contrôla peut-être pas le colis,ni au camp qui laissa passer. Marguerite avait inscrit sur l'étiquette : » l'élixir du père Charpillet »qui l'a toujours fait rire ; Germain lui recommanda de ne plus renouveler l'opération…

 Pierre Guedin est prisonnier au Stammlager XIII D, il s'est déclaré sous officier et depuis son arrivée, il refuse de travailler comme 30 % des sous officiers de ce camp. Il est alors nommé à la poste-paquets du camp. Il profite donc de sa situation, sa mère lui envoie pratiquement ce qu'elle veut dans ses colis puisque c'est lui qui les réceptionne au camp. Quant à lui, il lui indique les démarches à suivre pour le faire sortir du camp, sans crainte de voir son courrier ouvert, puisqu'il passe par la Croix Rouge. L'une d'elle n'est pas banale. Il conseille à sa mère de se considérer comme morte, puis d'aller voir Joseph Charpillet le maire de Valay pour obtenir un certificat de décès, qu'il utilisera au camp...                                                         Image(09)   Image(10)

 

Dans beaucoup de commune, les communautés paroissiales regroupées autour de leur curé organisent des kermesses ou des pièces de théâtre dont les revenus vont aux prisonniers, sous forme de colis, comme à Montagney ou à La Résie St Martin. Ces manifestations vont perdurer au-delà du retour des rapatriés, les sommes récoltées permettront de faire des voyages, entre autres dans les lieux de pèlerinage.

 

Prisonniers restés en France

Dès juillet 1940, la Préfecture de Haute Saône sollicitée par de nombreux maires comme Mr Barbier de Pesmes réclame la mise à disposition de prisonniers français internés au Frontstalag 141 de Vesoul pour aider dans les fermes, le mari ou les fils retenus en Allemagne.  C'est le cas du maire de Pesmes, Mr Barbier qui en fait la demande le 20 juillet 40.             Image(11)

Comme pour le Jura précurseur  en la matière, cette demande reçoit un avis favorable de la Kommandantur de Vesoul.

Ces premiers prisonniers français sont des agriculteurs ou fils d'agriculteurs qui préfèrent la vie et le travail dans les fermes, à l'ennui du camp. Après avoir travaillé quelques jours dans les exploitations, l'idée de s'évader constitue leur premier objectif. Avec l'aide des habitants, certains prennent la poudre d'escampette et réussissent à regagner leurs foyers, recherchés mollement par la gendarmerie de Pesmes, plutôt conciliante envers eux.

Dans ses rapports, elle cite le 9 septembre 1940 : --Il y a lieu de rechercher le prisonnier de guerre Baudet Henri,35 ans né à Douelle (Lot) du 220è RI, du recrutement d'Agen. Il doit être parti en tenue civile car il a laissé ses effets militaires, a quitté son patron Mr Jussier à Aubigney dans la journée du 8 septembre 1940 : direction prise inconnue.    Pesmes le 11 septembre1940.

Le 17 novembre Paul Tatras 29 ans, Célestin Soudaret 35 ans et Jean Cassani 35ans, tous trois prisonniers de guerre employés au service agricole à Pesmes se sont évadés au cours de la nuit du 17 au 18 novembre 1940.

La liste des évadés est encore longue : 3 autres à Malans le 18, 1 à Pesmes le 27, 1 encore à Aubigney le23 février…

L'aide de la population locale est essentielle, l'employeur complice de l'évasion le conseille en le dirigeant vers l'abbaye d'Acey, lui remplit confortablement sa musette et lui donne des habits civils, et retarde au maximum la déclaration d'évasion à la gendarmerie.

Pour éviter ces évasions trop nombreuses, le Frontstalag n'envoie plus que des soldats des ex colonies françaises, en particulier des Anamites ou des Nord-Africains. En juillet 40, ce sont 10 prisonniers Anamites qui sont envoyés dans Pesmes ou les communes environnantes, ils sont moyennement courageux dans les travaux agricoles, dur dur pour l'Administration pesmoise d'enregistrer leurs noms, heureusement chacun dispose de son matricule de soldat (en jaune) et celui qu'il porte au Frontstalag 141 (en orange)…                            Image(12)

Il faut dire qu'à partir de 1941, ce Frontstalag de Vesoul est devenu le camp de discipline pour les indigènes coloniaux, les autres prisonniers étant partis pour l'Allemagne.

Les maires envoient des listes de fermiers ayant besoin d'aides pour des travaux de fauchaisons, pour rentrer des fourrages ou pour sarcler à la machine.Mais la Feldkommandatur 516 se montre très soucieuse du cadre de vie, des horaires de travail de ces futurs employés agricoles. Par la Préfecture, le maire de Pesmes doit se mettre en quête avant le 15 mai, de rechercher une maison de 4 à 5 pièces avec cuisine dans une propriété qu'il faudra clôturer de fil de fer barbelé sur une hauteur de 2,50 m, pour y loger les 25 prisonniers Nord-Africains.           Image(13)

12 agriculteurs pesmois font des réservations de prisonniers, certains en réclament plusieurs.

 L'hiver, ils sont embauchés dans les bois par des exploitants forestiers, comme la famille de Jean Baussain à Motey Besuche. Les employeurs rétribuent ces  soldats paysans, leur offre le gîte et la nourriture. Un prisonnier leur revient à 10 F la journée versée par l'employeur en fin de mois. Après mai 1941, l'autorité occupante  est la seule habilité pour rémunérer ces prisonniers. Ces versements se font par l'intermédiaire de l'officier trésorier du Frontstalag 141 de Vesoul qui l'attribue en fin de mois au prisonnier.

 

 Retour des prisonniers

Les prisonniers arrivent massivement dès mai 1945 principalement par le train. Voici la liste de ceux arrivés début mai, liste fournie par la Presse de Gray en date du 5 mai et du 19 mai 1945 avec leurs lieux d'habitation et le Stalag (ou l'Oflag) où ils étaient internés : ce ne sont bien sûr que ceux du secteur...

5 mai 1945

Louis Roussillon de Cult V A,  André Viennot de Lieucourt VI A,   Marcel Guyot de Pesmes X C,

Lt Foucherand de Bonboillon VI A,  Marcel Beneux de Broye IX B,  René Rabbe de Brésilley VI D,

Germain Raillard de Venère VI C,  Marius Choix de Cult V C,   Marc Gentil de ChanceyVI,

 André Dupuy de Bard XI B,  Georges Jay de Vadans X B,  Fernand Jacquot de Bresilley,

N. Bonvalot de Montagney,   André Laffuge de Grande Résie VI G.

 

19 mai 1945

Félicien Guyotte de Montagney VI J,  René Fougnon de Valay IX A,   Félicien Maire de Valay,

Ernest Gardot de Venère VI B, Bernard Pélot de Thervay V A,   Henri Thiebaut de Gray VI D,

Marcel Renaud de Pesmes VI A,   Auguste Reuchet de Grande Résie VI A,

Georges Bérille de Cugney VI A, Jean Vernier De Cugney VI A, Victor Jacquot de Brésilley XIII B,

Lucien Roussel de Bonboillon,   Théodore Jeaunnaux de Sauvigney VI B,

Georges Bournot de Cugney XI B, Victor Dédole de Broye X, Charles Servin de Champtonnay IV F,

Joseph Miquet de Monytseugny X B,  Georges Guedin de Valay XIII D,

 Marc Mitton de Pesmes VII A, Paul Courboillet de Chaumercenne XVII A,        

 Les derniers rentrés ne regagneront leurs foyers qu'en juillet voire en août 1945…

 

Ces prisonniers seront mis à l'honneur lors du passage de Notre Dame de Boulogne dans le canton de Pesmes, du 31 mars au 2 avril 1946. Ce sont eux qui conduiront le char de la Vierge d'un village à l'autre.

Nous reviendrons plus tard sur le retour en France de ces prisonniers, retour très difficile après tant d'années passées hors de chez eux et dans de telles conditions.