B12-L'exode avant l'invasion allemande dans l'est

L'exode avant l'invasion allemande de l'Est

 

Les Allemands se portent dans l'Est de la France

 

Après la défaite française sur la Somme le 9 juin 1940, Paris est devenue ville ouverte le 11, les armées allemandes s'attaquent à la partie est de la France et comme à l'ouest elles vont adopter la même technique. Percer le front et foncer plein sud, puis bifurquer à l'est pour encercler toutes les armées françaises. C'est le travail du Panzergruppe du général Gudérian.

Dans un couloir d'une quarantaine de km, deux divisions blindées et deux autres motorisées s'engagent sans rencontrer d'engagements avec les divisions françaises submergées par la vitesse et les moyens déployés.

Les habitants s'attendent à voir arriver ces troupes belliqueuses que rien n'arrête. Pourtant ce sont des troupes françaises que l'on voit passer particulièrement à Chaumercenne, au carrefour de deux voies de repli français. Les voitures légères venant de Vesoul, particulièrement des Tractions avant, transportent pour beaucoup d'entre elles des officiers et leurs familles qui osent saluer la population locale, un repli du commandement français mais pas de leurs unités, plutôt une fuite ...Puis c'est le tour de colonnes de cavalerie, certaines avec un officier en tête et d'autres pas. Maintenant des colonnes à chevaux passent et là sans officiers ; on sent sur leurs visages, la défaite et beaucoup de peine, on ne leur avait pas prédit une telle issue en montant au front.

 

La situation aux 14 et 15 juin 1940

 

Le vendredi 14 juin à Chaumercenne

D'autres convois se montrent plus préoccupant, ce sont des civils qui fuient le Nord et l'est de la France dans des véhicules surchargés ; sur le toit des matelas, des couvertures, des charrettes d'enfants, tout ce qu'on n'a pas pu mettre à l'intérieur des véhicules. Leurs plaques d'immatriculation montrent leur provenance, de Moselle, d'Alsace et même de la Haute Marne si proche. Où vont-ils ? le savent-ils eux-mêmes ? Ils fuient vers le sud. Au carrefour, ils arrivent parfois sur les deux files de la route, particulièrement ceux de la route de Gray et poursuivent sur Pesmes provoquant des embouteillages difficiles à gérer pour le maire du village. Les colonnes de civils se mélangent avec celles des militaires, c'est un chaos épouvantable à la Croisée, les officiers sortent par les portières pour insulter les gens et montrent parfois les poings. Dans cet inextricable enchevêtrement de véhicules et d'hommes, des groupes de spahis, pantalon képi et manteau bleu horizon sur fond rouge, fièrement dressés sur leurs chevaux tentent de réconforter les personnes en pleurs qui les voient passer.- »Ne craignez rien, on les a arrêtés dans les Ardennes, on les arrêtera plus loin » crie ce capitaine au sourire de circonstance.

 

Le samedi 15 juin :

Dès le matin, les passages de réfugiés recommencent avec plus d'inquiétude pour la population. En effet, maintenant circulent des véhicules immatriculées en Haute Saône, des cars de la région grayloise et même des connaissances du coin. Les passages de ces proches voyageurs intriguent fortement les habitants de Chaumercenne qui aimeraient bien avoir des renseignements sur ce qu'ils doivent faire, tout particulièrement les jeunes et les affectés spéciaux.

 

 Les affectés spéciaux :

Ces hommes d'une quarantaine d'années mobilisables mais non engagés sur le front servent de main d'œuvre pour les entreprises liées à l'Armée française. Camille Chappuis de Chaumercenne, menuisier de son état, de la classe 1916, est mobilisé dans un régiment de chars à Dijon. Il réussit à  se faire embaucher aux Etablissements Charpillet de Valay, négociant en vins, comme chauffeur de camions pour transporter ce fameux breuvage indispensable destiné aux armées françaises.

René Petit de Chaumercenne tient une saboterie à Chevigney. La fabrication de sabots aux poudriers de Vonges lui a été demandée dès 1939 par la direction de la Poudrerie ; les employés doivent être chaussés de sabots de bois pour éviter en marchant, de causer une étincelle susceptible de provoquer une explosion qui leur serait fatale. Au matin du 14 juin un ordre arrive dans les mairies, les affectés spéciaux doivent se rendre à Gray, place des Casernes, ce qu'ils font mais, sur place le commandant de la ville de Gray n'a reçu aucune instruction pour leur faire regagner leur régiment. Alors partez : c'est le conseil le plus sage pour l'instant...

Alors nos deux affectés spéciaux décident de quitter Chaumercenne : direction pour eux aussi, le Sud de la France dans la vieille 5 CV Citroën de Charles Oudille beau-père de René, en compagnie d'Honoré Priolet (lui démobilisé en 39, il a 3 enfants) mais qui les suivra en moto. 

 

Exode des jeunes de 18 à 21 ans :

Des instructions sont pourtant arrivées pour les jeunes de 18 à 21 ans leur conseillant de quitter leur région pour se réfugier dans le sud de la France ; sauvez-vous pour que les Allemands ne vous enrôlent pas dans leurs armées. Alors les jeunes d'un même village se regroupent et délaissent leurs familles, partent en vélos la musette chargée de pain, d'une bouteille de vin et d'un morceau de fromage. 

 

Venère et Montagney :

Le départ est si rapide que certains en oublient les victuailles comme Georges Deronzi sur un vieux vélo en piteux état, d'autres comme Emile Delaitre emprunte un vélo de femme, celui de Gisèle Jacquot...Les jeunes  de Montagney dont Aimé Begin, André Mourey, Joseph Lambert et le Politoff retrouvent ainsi ceux de Venère, Pierre Mugnier, Joseph Lambert, un Viard, sur les routes du sud, puis les Alliot de Banne qui leur proposent de charger leurs vélos dans leur camion et poursuivre la route avec eux: Dole, Lons le Saulnier, Villefranche sur Saône…

Ils dorment dans des granges et sont nourris dans les fermes, puis continuent leur périple : Montélimar et l'Ardèche. Pour rester sur place, ils donnent un coup de main à la ferme mais il faudra bien rentrer un jour...Hélas pour beaucoup, trop tardivement : la ligne de démarcation est mise en place, les problèmes de passage vont commencer. D'autres iront jusqu'à Périgueux (au bout de 7 jours de route), puis évacués à Biras 17 km plus loin ; ils sont 37 et on leur délivre à chacun une carte de réfugié qui leur permet de toucher 390 frs pour leur nourriture, payés par le percepteur local et logés dans une école. Georges Deronzi demande à travailler ; venu sans le sou, à la fin de son exode il fera le retour avec 3700 frs en janvier 1941, en passant par Mont sous Vaudrey. Son périple avec la traversée de la ligne lui sera bien moins favorable, voire particulièrement dangereux, il failli y laisser la vie...

 

Cresancey :

Sept jeunes du village se regroupent sur la place pour un départ en vélo à 16 heurs 30, dont Valentin Lambert. La gendarmerie de Gray leur a intimé de partir en urgence tant la situation est plus grave que prévue, en direction de Mouchard. Première étape St Usage après un rassemblement avec d'autres jeunes à Auxonne. Les Allemands seraient à Dijon, il faut filer ; seconde étape Nuits St Georges, la gare est en feu, impossible de prendre le train. Il faut poursuivre en vélo jusqu'à Beaune où ils prennent le train jusqu'à Chagny, là tout le monde descend car le train est bombardé et la locomotive hors d'usage. Les jeunes reprennent leurs vélos jusqu'à St Sernin du Plain près du Creusot, mais ils ne sont pas les seuls ; les Allemands aussi...

Ces derniers investissent le village, la cinquantaine de jeunes et la population locale se réfugient dans les caves pendant qu'un bombardement s'opère par des avions allemands, sûrement une mauvaise coordination entre avions et troupes avancées. Les Starnel pleuvent de partout : ce sont des obus qui éclatent en l'air projetant des dizaines de balles qui traversent les toits. Les Allemands fouillent les caves mais ne trouvent pas les quelques soldats français qui s'y sont réfugiés, heureusement pour eux….

Le voyage des jeunes prend fin, il faut s'en retourner, 48 heures plus tard tout le monde avait regagné Cresancey ou autres lieux.

 

L'exode de la population le 15 juin 40

 

Dans Chaumercenne comme dans tous les autres villages du canton, la décision de partir est prise pour la grande majorité des habitants ; les plus vieux qui ne veulent pas délaisser leurs maisons décident de rester, -- on a vu les Prussiens et les Uhlans, alors  …--

L'exode va commencer pour ces centaines de personnes qui ont pris cette décision parce que d'autres l'ont prises avant eux.  Ils les voient bien passer avec des motifs pratiquement identiques :

--les Allemands violent les femmes, tuent les bébés ou leurs coupent les mains des garçons 

--; la fameuse 5ème colonne a bien réussi son coup, elle s'est bien intégrée dans la population et diffuse ces informations pour la démoraliser et lui faire quitter les lieux là où l'Armée allemande doit passer, entravant la retraite des troupes françaises déjà désorganisées et libérant les villages à l'arrivée de l'ennemi.

 Il faut donner quelques exemples de ces exodes tant la diversité, l'importance et les moyens utilisés prêtent parfois à sourire malgré la gravité de la situation.

 

Exode court :

La grande majorité des gens qui vont fuir devant l'Allemand qui arrive, partent avec leurs chariots attelés à un cheval, chargés de couvertures et de victuailles, certains emmènent de la nourriture cuisinée du matin, d'autres n'oublie pas de charger la feuillette de vin... , on ne sait pas combien de temps va durer le voyage qui, pour les enfants ressemblent à des vacances qu'ils ont tant voulues.

La famille Paulin à Chaumercenne emporte en plus des biens de première nécessité, la cage avec le corbeau que l'on ne veut pas laisser seul. On n'oublie pas d'emporter les papiers de famille et les économies, à cette époque l'argent n'est pas placé dans les banques. On recommande de pas parler fort, ni de dire le mot Boches, On se dirige plein sud ; --les Allemands, on n'est pas prêts de les voir-- clament certains spécialistes de stratégie militaire.

 Le passage dans les villages suscite des doutes parmi les gens rencontrés -- il ne fallait pas partir-- puis après on discute avec les voisins et finalement on prépare aussi son départ. Le voyage ne dure pas, le lendemain les troupes allemandes les ont dépassés.

Ce samedi 15 juin 40, plus de la moitié des habitants de Chaumercenne ont quitté le village, l'institutrice a même lâché ses élèves une 1/2 h plus tôt. Ils se retrouvent le soir à Taxenne, à coucher dans les granges puis au matin on reprend la route, pas pour bien longtemps ; les blindés allemands ont traversé Thervay, il est donc inutile de continuer ; les chariots font demi tour et reviennent au pays en ayant pris soin d'envoyer des éclaireurs au village analyser la situation. Le largage de deux bombes par un avion italien, l'une au bout de la ruelle du Buet, l'autre près de la maison du garde barrière sur la route de Chancey, leur fait gagner rapidement les habitations qu'ils n'auraient jamais du quitter.

A la Résie St Martin, la famille Faivre s'est décidée à quitter les lieux ; le cheval attelé à la charrette chargée de victuailles et de literie entre autres, tout le monde est prêt, les grands-parents, parents, Andrée, sa sœur et ses enfants, il n'y a plus qu'à lâcher les bêtes : poules, lapins, canards, vaches. Un départ emprunt de tristesse mais l'équipage se met en route. 500m plus loin, ils sont arrêtés par leur voisin Arthur Constantin qui les avertit de pas aller plus loin, les ponts sur l'Ognon ont sauté (ce qui est faux!). Demi tour, on rentre, on décharge la voiture, on remet les vaches à l'écurie mais pour les autres bêtes qui ont goutté cette nouvelle liberté, elles veulent encore en profiter. En résumé 500m d'exode, et tout l'après-midi pour faire regagner à chacun son domicile…

Un exode court aussi pour le couple Pernot aussi de la Résie. Eux ont choisi la bicyclette pour tirer une petite charrette à deux roues ; Lucien est au guidon, Louise dans le chariot portant une lessiveuse avec le linge dedans qu'elle n'a pas eut le temps de faire sécher…

Arrêt à Bard où ils sont encouragés à rentrer chez eux. Le conseil est suivi à la lettre, nul doute que le linge aura eu le temps de sécher sur le fil.

 

Exode douloureux à Broye

André Oudin du haut de ses 15 ans vit avec sa mère, il vient de perdre son père qui s'est pendu, il ne voulait pas revivre la guerre de 14/18 qui l'avait tant marquée. Le passage ininterrompu de refugiés, incite certains Broyens à partir, mais eux veulent rester. Cependant dimanche matin, Jacques Burillard son voisin vient le voir –il faut partir, comme tout le monde--. Alors il sort les bêtes de l'écurie et les lâche sauf le cheval qu'il atèle à une voiture à 4 roues, à planches (pas à plateau).

Sont du voyage : eux 2, Eugène Fleutot un voisin qui prend son vélo, la dame Canaux seule car son mari est décédé cette nuit à la maison, qu'elle laissera bien sûr. Malgré la douleur, on n'oublie pas de charger de la nourriture, une miche de pain et du vin, il faut bien vivre. Direction Moissey où ils rejoignent la famille Vergne, on se cache derrière un bosquet pour discuter. De la route proche s'élève un nuage de poussière et beaucoup de bruits de ferraille : des Soldats français qui reculeraient, impossible, alors quoi ?

Tout simplement des véhicules blindés allemands qui se dirigent sur Dole, ils ne les ont pas vus. Juste le temps de gagner le village où il n'y avait pas grand monde ; une grange libérée pour cacher la voiture. On détèle le cheval pour le faire manger et le groupe y passe la nuit. Au matin une reconnaissance à vélo du père Fleutot les invite à rentrer : le pont de Broye est intact. Le retour se passe sans incident, il n'y a plus qu'à faire l'enterrement du père Canaux…

 

Exode généreux à Moissey

Les parents de Bernard Grebot tiennent au village un commerce : épicerie-coiffure-café qui permet d'occuper toute la famille, Tous ces flots de militaires en débandade, de réfugiés luxembourgeois, du Nord, des Vosgiens, puis des gens fuyant à cheval, en véhicules à moteurs ou à pieds, les désolent. Ce samedi son père (ancien de 14/18) fait partir ses sœurs et leur mère. Bernard reste avec lui, ils les rejoindront plus tard. Mais que faire ? L'épicerie est encore bien achalandée, son père prend la décision de tout liquider pour ne rien laisser aux envahisseurs. Boites de sardines, de saumons, saucissons, gâteaux… tout fut distribué à ceux qui passaient, une aubaine pour certains qui marchaient le ventre creux.  « Prenez, prenez, rien ne doit rester, oui c'est gratuit, ne vous gênez pas »--

L'épicerie est totalement vidée de son contenu ; et la cave ? Elle est pleine de boissons de toutes sortes. Les bouteilles de vins s'en allèrent rejoindre les poches des soldats français, fantassins et autres. Certains mêmes sortirent de la cave en extra-terrestres, une bouteille à chaque main et une dans chaque poche de la capote… de quoi se remonter le moral et se donner de l'énergie.

Bernard quant à lui charge les caisses replies de cannettes de bière sur les camions arrêtées devant l'épicerie. La cave est maintenant vide.

Son père lui dit alors—Il n'y a plus rien, on va s'en aller--. Ce père généreux se met alors à pleurer puis tous deux quittent la maison :--Toute une guerre faite en 14/18 pour tout abandonner aujourd'hui--.

Le sac tyrolien sur le dos, chargé d'une quinzaine de kg de victuailles qu'ils s'étaient réservées, et la bicyclette à la main, les voici quittant Moissey pour aller retrouver la famille à Oussières. Le voyage ne sera pas de tout repos...

 

Exode le plus tardif et le plus court :

Ce samedi peu après midi, le chef de la gare de Gray, en accord avec le commandant des troupes françaises à Gray décide de faire partir le dernier train en gare de Gray, les ponts devront sauter peu après. Les familles des employés du chemin de fer y prennent place ainsi que tous les habitants volontaires pour le départ, qu'ils soient de Gray ou des environs, ou même des réfugiés de l'Est. Les wagons sont pleins et le train démarre.

Le train est à peine sorti de la gare qu'il se trouve pris sous les bombardements de l'aviation allemande, heureusement car la grande et belle marquise à l'image de celle de la gare de l'Est à Paris, éclate en mille morceaux dans un bruit assourdissant. Impossible de quitter le train, les Allemands arrivés en motos et side-cars envahissent les lieux interdisant toute sortie des occupants. Ceux-ci prisonniers assistent impuissants à l'incendie du clocher de la basilique et à sa chute, ils découvrent Gray en feu dans la nuit de ce 15 juin 40. Pas d'eau, certains mangent un gâteau sec ou un fruit emporté pour le voyage. La nuit passée dans les wagons est difficile, la peur est présente en chacun ; les Allemands, que vont-ils faire d'eux ?

Au matin c'est dimanche, et beaucoup regrettent d'avoir quitté la maison pour fuir l'Allemand conquérant. La gare est à nouveau bombardée, un wagon est littéralement soulevé par une déflagration, une autre bombe tombe près d'un wagon mais heureusement n'explose pas. Les Allemands n'en reviennent, ils sont eux aussi bombardé par les leurs avions ; une erreur d'appréciation due à l'avancée trop rapide de leurs troupes au sol. Alors les Allemands présents à la gare font un geste, ils ouvrent les portes des wagons et libèrent tous les passagers qui gagnent Arc par les jardins, d'autres rejoignent Gray encore fumant, comme ils le peuvent, puisque les Français ont fait sauter les 3 ponts d'accès à la ville.

Deux cents mètres d'exode et la peur de leurs vies pour ces passagers enfermés dans ces wagons, qui n'aspiraient qu'à la liberté... 

 

Exode en voiture automobile 

Dans les campagnes, rares sont les gens possédant une automobile.Leur propriétaire cherche à emmener le maximum de personnes, la literie, les gamelles ou d'autres objets sont évacués sur la galerie du véhicule, la hauteur de l'ensemble ne fait pas peur!

 

-Des exodes précoces 

Certaines familles anticipent l'arrivée des Allemands. Ainsi dès mercredi 12 juin Mr Alliot père, propriétaire de la scierie à Banne protège sa famille en la faisant partir chez des parents à Riom dans le Puy de Dôme. Mme Alliot mère conduit la 402, ses parents et 4 enfants font partie du voyage. En cours de route une halte devant une fromagerie : à la vue de tous ces enfants entassés dans la voiture, le patron leur donne une boite de petits suisses. Le grand-père s'interpose -- ce sont des gens de la 5ème colonne --. Il arrache la boite des mains d'un des enfants et l'expédie dans un champ de blé voisin, au grand désespoir des enfants qui l'auraient bien mangée !

Au retour l'équipage reste bloqué durant trois semaines à  la ligne de démarcation de Navilly. Ils devront attendre une fenêtre d'ouverture d'une heure de la ligne mais à Pierre de Bresse. Inutile de préciser que la voiture fut vite chargée pour gagner ce bourg. Ils arrivèrent fin août à Banne non encore occupé par les troupes allemandes, pourtant la maison avait reçu des visiteurs qui n'avaient pas tant fait de route qu'eux...

Mr Alliot, quant à lui attend l'arrivée des Allemands à Gray pour quitter la scierie avec ses ouvriers au volant de sa camionnette, mais reviendra bien vite sans soucis à la scierie.

Mr Masson poudrier à Vonges se doute bien que le secteur de Pontailler avec ses 6 cartoucheries risquent d'être la cible des avions allemands. Aussi dès jeudi 13 juin, il fait partir sa femme et ses 5 enfants en Bretagne où ses parents demeurent encore. Le bus pour Dijon avec la compagnie Amco puis le train ; de gare en gare avec des changements, des trains et des lignes réservés pour les militaires si bien qu'après être passés à Roanne la famille Masson s'est retrouvée à St Etienne, bien loin de leur destination bretonne…

Ils y sont restés 2 mois avant de remonter et retrouver le père à l'usine qui travaillait cette fois, en grande partie pour les Allemands.

 

-Un exode de la débrouille:

La famille Paupion à Perrigny sur l'Ognon n'a que la Renault équipée en scie pour voyager…, pas une roue pareille ; une voiture pour le sciage du bois dans le secteur mais pas pour voyager. Le moteur Bernard au centre de l'auto, la scie à ruban à l'arrière.  Rentrer toute la famille dans la voiture relève déjà de l'exploit. Les parents et les trois frères, puis le père Paul qui veut emporter les trois vélos : on les dispose sur la capote retrouvée dans le grenier, on l'avait entreposée là depuis plusieurs années, elle craque de tous les bouts… C'est le frère aîné qui pilote l'auto-scie, sans permis de conduire puisqu'il n'a que 16 ans. De plus la voiture n'a un permis de circulation que pour le travail. Arrêté plusieurs fois par des gendarmes compréhensifs, le véhicule poursuit son périple.

A Villers les Pots les poignées de frein ont traversé la capote et les vélos menacent de tomber sur les passagers. Un arrêt dans un bois s'avère indispensable, il faut disposer des piquets pour soutenir cette maudite capote. A St Jean de Losne, ils assistent à un spectacle grandiose, les militaires français ont mis le feu aux réserves d'essence pour éviter que les Allemands ne s'en emparent. Le père, ancien poilu de 14 refuse d'emprunter les grands axes, l'arrêt dans chaque département s'impose pour demander le calendrier des postes, l'ancêtre du g.p.s, objet indispensable à l'époque pour suivre un itinéraire.

A 25 km/ h le trajet est long ; pour s'occuper les jeunes s'amusent à compter le nombre de véhicules aux fossés ; à 280 ils ne trouvent plus le jeu distrayant, il faut dire que ces bords de routes sont jonchés de voitures en panne ou n'ayant plus d'essence pour circuler : une désolation…

Malgré les arrêts pour remplir le réservoir d'essence (problème crucial du ravitaillement), notre valeureux équipage atteint la Creuse, plus précisément La Villedieu près de Nedde. Pour occuper le temps, Paul et ses fils reprennent leurs activités de sciage dans les villages creusois en échange de la nourriture et du gîte chez l'habitant.

Le voyage retour à Perrigny s'effectuera correctement et notre auto-scie poursuivra ses activités en terre connue cette fois...

 

-L'exode partagé :

A Chaumercenne Emile Lambert, un ancien de 14/18, fin stratège, croit encore au repli des troupes françaises sur une ligne allant de la Loire à la Saône jusqu'à la Suisse. Notre secteur reste donc sous la menace allemande, des combats sérieux devraient s'y dérouler, il faut donc partir… il tient surtout à ce que son fils Marcel 18 ans ne soit pas pris par ces fous d'Allemands. On veut emmener le maximum de personnes du village dans la B-14 de René Petit, sa camionnette qui livre d'ordinaire les sabots. 13 personnes sont du voyage : le chauffeur Marcel Lambert qui a son permis et ses parents, le couple Jobert et la grand-mère Vernocchi, Marcelle Petit avec Camille et sa sœur Geneviève gravement malade, Clémentine Bardenat et ses deux petits-fils Marcel et Albert, enfin Marie Louise Voilly et son fils Jacques qui n'a pas un an. Il faudra donc faire deux voyages à chaque halte….

La première bien évidemment à Taxenne où ils sont logés par la famille ou les amis. A 1 heure du matin grand branle-bas de combat, il faut déguerpir : un gars en moto, du sang sur le visage, annonce que Gray est en feu, les Allemands ne sont pas loin.

Deuxième arrêt : Arc et Senans au lever du jour, on ravitaille le bébé en lait que l'on fait chauffer sur un gaz pendant que le chauffeur repart rechercher le reste du groupe. Poursuite jusqu'à Arbois, on a roulé voiture contre voiture. Sur la place Pasteur, un semblant d'organisation se met en place ravitaillant les réfugiés et leur trouve un endroit où coucher. Pour le groupe un orphelinat au dessus de la ville, les lits sont confortables mais à 4 heures du matin, des coups de mitrailleuses se font entendre, il faut repartir, les Jobert restent sur place, ils en ont marre d'être bousculés.

On est le 17 juin, entassés les 10 dans la B 14, ils stoppent à Savigny en Revermont, embrayage cassé. Mais Emile Lambert n'en démord pas il faut continuer ; il fait l'acquisition chez un marchand de vins d'une camionnette découverte, une Mona 6. A ce qu'il paraît être, Pétain aurait demandé l'Armistice mais on continue de rouler : St Amour bombardé par les avions italiens puis Bourg en Bresse dans un colossal embouteillage, une pagaille incroyable… pour finir à Curis, proche de Neuville sur Saône dans le Rhône. Logement dans la cure en haut du village, en bas un barrage est tenu par des Sénégalais, avec chevaux de frise et mitrailleuses.

Les journées s'écoulent tranquillement, on va même faire le marché à Neuville, cerises et abricots sont à l'étalage… Un soir des combats ont lieu contre le poste tenu par les Sénégalais, alors résonnent coups de canon et de mitrailleuses. Au matin, il ne reste rien du barrage, il a été anéanti, soldats et matériels. Le 24 juin décision est prise de préparer le retour à Chaumercenne, et ça c'est une autre histoire.

 

 -Chancey, l'exode exclusivement féminin

La 5ème colonne fait des ravages à Chancey, ce qui oblige certaines familles à quitter le village pour éviter les soi-disant exactions commises par les troupes allemandes. Ainsi Mme Marie Louise Lasarthe décide de partir avec la vieille Citroen, la camionnette de son mari qu'il utilise d'habitude pour aller au marché (il a été requis avec des hommes du pays puis conduit au camp de Fourchambaut dans la Nièvre). Elle emmène ses trois filles de 18 à 10 ans, la grand-mère malade dans son fauteuil et les deux femmes Belleney mère et fille : Marguerite et Germaine qui pour partir ont du se résoudre à tuer Black leur gros chien noir de peur que seul il ne commette des dégâts dans le village : sept femmes… Elles réussissent tant bien que mal à monter la bâche sur la partie arrière pour abriter la grand-mère dans son fauteuil et les voilà parties, direction Autun, en suivant les colonnes de réfugiés. Elles sont bloquées par un barrage de camions, de cars de militaires dans le secteur de la gare. Les bombardements allemands durent jusqu'au matin. C'est la désolation, les véhicules ont été incendiés et des corps calcinés de soldats français gisent sur le sol. Elles resteront à Autun trois semaines avant de quitter les lieux dans le camion d'un transporteur de Moissey. Le franchissement de la ligne se fera par les bois avec la peur persistante de rencontrer des Allemands qui auraient pu les arrêter.

 

Le dernier train au départ de Valay

Tant de choses ayant été dites sur l'arrivée imminente des Allemands, le chef de gare de Valay Mr Vuillet décide de faire partir le dernier train en sa gare, et y emmener les familles des garde-barrières de tout le secteur. Beaucoup de wagons sont accrochés à la locomotive dans l'espoir d'emmener le maximum de personnes. Sur les wagons est inscrit : direction Rodez, on ne sait pourquoi. La famille Rivière gérante du café de la gare y a pris place, la famille Hug invitée à rejoindre le train refuse l'offre. A 7 heures du soir l'ultime train part donc de Valay pour une première halte à la barrière de Chancey, toute la famille Lepeut monte dans un wagon, Aristide et Hilda et ses enfants Odette et les jumeaux Alfred et Juliette. Arrêt à la grande gare de triage de Miserey où tout le monde descend. Les gens sont conduits en urgence dans un immense hangar pour éviter les bombardements dans la soirée, de la gare par des avions italiens. Mais surprise, les Allemands font leur apparition dans le hangar, les enfants se cachent comme ils peuvent, on leur a tant dit sur la cruauté de ces gens là…

Ils ont l'air de se montrer gentils en offrant même des tickets-restaurant aux hommes, alors les enfants se montrent, certains reçoivent des barres de chocolat. Les ex-occupants du train y passent la nuit et le lendemain matin, les Allemands réapparaissent. Ils tendent des cigarettes aux hommes et demandent qu'on sépare les hommes des femmes. De sérieuses discussions sont engagées, les hommes précisent que leurs épouses sont aussi gardes-barrières et doivent rester avec eux, alors les Allemands renvoient tout le monde sur les rails de la voie ferrée : -- Rentrez chez vous, mais à pied –.

Une longue file de voyageurs prend possession de la voie avec enfants, valises et autres choses emportées la veille, une première halte à Brussey avec le coucher dans des granges. Le lendemain la gare de Montagney mais la famille Lepeut poursuit jusqu'à leur domicile. La joie des jumeaux à l'approche de la barrière n'est pas troublée par la vue d'un énorme cratère à 100 m de la maison : un obus largué par un avion italien a bien failli faire sauter la maisonnette. Quelles vacances, une heure de train pour deux jours de marche à pied !

 

-L'exode des ouvriers de la poudrerie de Vonges

La poudrerie de Vonges travaille normalement ce vendredi 14 juin et les ouvriers rentrent chez eux pour le week-end. L'usine a anticipé leur probable départ en proposant à chacun la somme de 100 frs pour quitter Vonges et rejoindre l'autre usine, à Toulouse...

Des cars sont prêts depuis la gare de Lamarche sur Saône, tout comme des trains depuis la gare d'Auxonne. D'autres peuvent partir avec des camions réquisitionnés ou encore avec leurs voitures personnelles mais ces derniers sont rares, certains ont l'idée de faire le trajet en vélos...

Samedi dans l'après-midi, les chauffeurs des camions et cars de l'usine refont la tournée pour récupérer les ouvriers et ouvrières chez eux. Les Allemands sont à Gray, il faut donc quitter les lieux et rejoindre Toulouse, l'activité de cette usine stratégique et de premier ordre ne doit pas être interrompue, étant indispensable aux armées françaises.

A Auxonne les partants par le train sont gênés par la présence d'individus en habits vert sur le dos,  déjà vus la veille à la sortie de la cartoucherie, arrêtés le long d'un fossé, mitraillettes accrochées aux vélos, ils leur ont parlé dans un français très correct-- comment, vous ne foutez pas le camp ?--, ces fameux soldats français ou allemands peu importe, c'est bien la 5ème colonne ?

 Le départ se fait dans l'urgence. Une longue file de cars et de camions se forme sans vraiment vouloir rouler les uns derrière les autres. Une première halte, Le Creusot où les gendarmes les interrogent sur la raison de ce déplacement. Ils ne sont pas au courant de la situation et pas du tout convaincus des réponses des ouvriers, ils montrent même une certaine hostilité envers les différents groupes qui arrivent, et qu'il faut ravitailler et loger….

Le coucher se fait sur de la paille dans des granges investies par les arrivants. En pleine nuit un grand chambardement qui provoque des interrogations chez les ouvriers de la cartoucherie, la raison : Les gendarmes viennent à leur tour de décamper, sans prévenir les autres hébergés : l'information fournie par les ouvriers leur fut confirmée dans la nuit.

Au matin les véhicules repartent mais un autre souci vient plomber le moral des voyageurs: le manque de carburant, et Toulouse est encore loin. Le voyage s'arrête en Haute Vienne ; tous les occupants y restent presqu'un mois au grand désespoir de la population locale qui les nourrit et les couche. Les locaux ont trouvé un nom à tous ces nouveaux migrants : Les doryphores de la Côte d'Or.

Le train qui conduit les poudriers et les cartouchiers du secteur, avec leurs familles réussit à gagner Toulouse. La nourriture à l'intérieur n'est pas abondante, aussi le wagon spécial réservé au ravitaillement du terrain d'aviation proche de Toulouse, est littéralement pillé pour satisfaire l'appétit de ces féroces bourguignons. Des baraques pouvant contenir une cinquantaine de personnes sont construites, à la hâte et dans la boue, dans un camp proche l'usine ; la soupe est annoncée au son du clairon et tout le monde mange à cette cantine, hommes et femmes sont séparés dans les baraques même les couples mariés ; les champs de blé aux alentours du camp seront le lieu de conception de nombreux bébés nés quelques mois plus tard dans le canton de Pontailler.

Le retour en Côte d'Or de ces doryphores est un soulagement pour tous les ouvriers et leurs familles tant l'animosité des locaux envers eux était forte et, en dépit du fait que les Allemands avaient investi tous les villages environnants et certains occupé leurs maisons, ils ont bien trouvé des arrangements avec l'Occupant.

 

L'exode en car

Dans la soirée de samedi un car arrive sur la place de Cugney, il est affrété par le Département pour évacuer les habitants qui n'ont pas de moyens pou quitter leur village, l'information est-elle exacte ? Personne n'est au courant de son arrivée mystérieuse. A l'arrêt devant la mairie de Cugney, deux personnes y montent, le car est déjà bien rempli, preuve de son efficacité. Il terminera son périple à Sète dans l'Hérault.

 

-L'exode des Pesmois

L'afflux de réfugiés dans le bourg fait partir les gens de Pesmes et même son maire le menuisier Barbier. Ceux qui restent ne sont pas nombreux. A la venue des Allemands le dimanche, il ne reste qu'une cinquantaine de personnes, nombre constaté par Mr Xavier Guichard chargé d'établir une amorce de conseil de gestion du bourg notamment pour les questions de ravitaillement et du logement des Allemands qui ont investi le village, mais aussi pour éviter les pillages des commerces demeurés sans propriétaires.

 

-Ceux qui sont restés

 Dans chaque village des habitants ne veulent pas partir : ils sont âgés et ont déjà connu l'arrivée des Prussiens…

D'autres restent dans les fermes pour nourrir les bêtes et traire les vaches. A la maison Vagnaux de Chaumercenne, le commis Ernest est chargé de ce travail. Au retour des propriétaires le lundi 17 juin, le meuglement des vaches attirent leur attention, pas d'Ernest, on craint pour lui, les Allemands ?. Non, on le retrouve complètement endormi dans le foin au grenier, dans un état éthylique notoire et profond, les vaches n'avaient jamais été traites ni abreuvées depuis leur départ.

 La famille de Gabriel Richard, le laitier-fromager de Chancey, refuse de partir ; il ne doit rester qu'une vingtaine d'habitants au village dont les Pichoir et les Maire. Les cultivateurs ont déserté leurs fermes n'omettant pas de lâcher les bêtes, cochons, vaches, lapins et poules. Les jeunes restés sur place ne voyant pas d'Allemands au village courent après elles pour les faire rentrer. Ils procèdent à la traite des vaches, le lait récupéré est donné aux cochons ; certains cochons habitués à ce nouveau régime alimentaire viennent eux-mêmes se nourrir à la laiterie…

Quand les gens de Chancey regagnèrent leurs habitations, ils furent surpris de retrouver fermes et animaux en excellent état…

Après avoir entendus les plaintes de tous ceux qui sont partis (difficulté de voyager, de se ravitailler, de dormir, la peur de rencontrer les Allemands ou de mourir sous les bombardements,…), les irascibles restés à la maison se vantent alors d'avoir été des sages, « vous vous êtes laissés aller aux paroles des autres, au lieu de réfléchir, vous n'aviez qu'à nous écouter ».