B15-Dimanche 16 juin 1940
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- Catégorie : B1-De 1939 à 1940
- Publié le vendredi 1 mars 2019 09:15
- Écrit par THIEBAUT Alain
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Dimanche 16 juin 40
Le pont de Quitteur
On a quitté le pont de Quitteur au nord de Gray, miné par des hommes du 29è RA, et comme l'avait prévu le capitaine, les Allemands les attaquent très tôt ce dimanche matin.
Il n'est pas encore 5 heures du matin quand les Allemands se présentent au pont. De violents échanges de tirs se déclenchent, la fusillade est nourrie, les pièces d'artillerie entrent en scène mais elles sont vite repérées. Mais qu'attendent-ils pour faire sauter le pont ? Rien ne passe... et le combat se poursuit de chaque côté de la Saône dont l'issue malheureusement semble plus favorable aux Allemands. Deux pièces ne se manifestent plus, leurs servants sont morts, ils n'ont sûrement pas fui. L'intensité des tirs français faiblit et malgré le courage de ses hommes, la section ou plutôt les rares hommes encore valides abandonnent les lieux sans que ce maudit pont n'ait pu sauter. Leur retraite est justifiée puisque peu de temps après, les Allemands ont gagné l'autre rive, en amont du pont, grâce à leurs canots pneumatiques. Au moins eux ne sont pas fait prisonniers.
A 11 heures, les Allemands ont pris possession du pont, pourtant des avions de la Luftwaffe mitraillent le secteur et leurs propres troupes au sol. Cette information est confirmée par le général Gudérian dans son livre « A la tête des Panzers »:il mentionne « plusieurs heures durant, nos aviateurs bombardèrent le pont jeté à Gray (et dans les environs bien sûr), ils appartenaient au groupe d'armées Loebb, si bien que nous ne pûmes nous faire entendre d'eux ni les éclairer sur leurs erreurs. ». Un obus atteint l'angle du château, heureusement il n'éclate pas, il s'est simplement ouvert en deux, libérant toute la poudre jaune sur le meuble et les draps d'une chambre du château . Le cheval du capitaine Capelle attaché à un anneau d'un mur n'a pas cette chance, un obus lui scie les pattes, et un infirmier qui ramène un blessé à la cave est lui aussi touché au pied mais moins gravement.
C'est vers les 11 heures du matin que les premiers chars de la 1ère Panzer franchissent la Saône, Gudérian est là pour les voir passer à la sortie du pont de Quitteur, Image(01)
La route de Besançon lui est ouverte, les blindés de Gudérian atteindront les faubourgs de la ville en fin d'après-midi.
La bagarre de Quitteur n'est pas anodine, elle a coûté la vie à 3 artilleurs français, il faut y ajouter une douzaine de blessés et autant de prisonniers, mais elle a retardé de 4 à 5 heures l'avancée allemande. Ceux qui ont réussi à s'échapper errent dans les bois du secteur, ils y retrouvent de nombreux soldats dont les sections ont été décimées en particulier des chasseurs pyrénéens ou polonais.
Ce pont intact de Quitteur pour les Allemands est une grande victoire, elle permet le passage des blindés de la 1ère Panzer, puis les troupes d'occupation l'utiliseront pendant plus de 10 jours sans interruption, au grand dam de la population dégoûtée de voir passer ces fiers vainqueurs peu respectueux de leurs personnes.
La 1ère Panzer quitte Gray pour Besançon
Des éléments avancés composés de chars, automitrailleuses, side-cars et motos arrivés la veille à Gray stationnent sur la place des Tilleuls ; des feux sont encore visibles dans le secteur suite aux incendies causés par les canonnades depuis la côte Turck. Image(02)
La majorité des blindés et autres éléments de la 1ère Panzer sont encore sur l'autre rive de la Saône et utilise le pont de Quitteur dès les 11 h du matin, ils entrent dans Beaujeu et gagnent Velesmes. Rue de St Broing, un ancien de 14/18 se détend en buvant une bonne bouteille de sa cave :-- une que les Boches ne boiront pas --avant qu'ils ne les voient arriver. Des side-cars précèdent quatre véhicules blindés contenant une quinzaine de soldats allemands assis dos à dos, fusil entre les jambes, à l'arrière de chaque blindé. Au carrefour de la Croix, tous les casques se lèvent pour bien voir les environs. Les rares habitants qui osent se montrer sont surpris de la demande formulée par les conducteurs de ces side-cars : ils recherchent la route d' Onay. Il faut dire que les troupes allemandes sont bien renseignées, surtout sur la position des troupes françaises éparpillées dans le secteur.
Champtonnay
Ainsi à Champtonnay, une bonne cinquantaine de Chasseurs Pyrénéens y cantonnent dans un bâtiment qui servit plus tard d'atelier de distillation. Arrivés aux premières heures du matin, ils installent leurs mitrailleuses dans les vergers, puis coupent des arbres pour y rentrer leurs véhicules et faire des barrages. Cette grande activité inquiète les habitants dont une grande partie décident de partir. Deux avions de reconnaissance allemands, des Fieseler-Storch (à cause du train d'atterrissage haut sur pattes comme les cigognes) survolent le secteur ; leurs passages répétés déclenchent un départ précipité des troupes en direction d'Onay, une sorte de sauve-qui-peut ; une bonne partie des soldats s'entassent rapidement dans les camions et autres véhicules, laissant au moins la moitié de leur matériel sur place : des appareils de transmission, des musettes vides, casques, masques à gaz, même des pistolets sont abandonnés dans la chambre à pompes du village, mais pas de trace de nourritures…Il est pratiquement midi.
Onay
Le reste des Pyrénéens suit, une heure plus tard, les mêmes instructions dans le sillage des premiers, Onay puis Cugney. Les derniers Chasseurs Pyrénéens et leurs mulets quittent Onay lorsqu'un quart d'heure plus tard arrivent par la route de Velesmes les premiers chars allemands. Les rares habitants après s'être rapidement restaurés se sont planqués dans une cave pour les uns, ou ont investi une baraque à vaches au milieu des champs.Venant des bois, un bruit assourdissant de ferrailles se fait entendre, les premiers blindés allemands font leur apparition dans Onay. Depuis les tourelles, les chefs de chars aperçoivent très bien la cabane ; pour éviter d'être pris à partie dans une possible canonnade, les habitants en sortent bras levés au-dessus de la tête, ce sont bien des civils et non des militaires qui se cachent. Après avoir évité les pommiers sauvages coupés par les muletiers qui barraient la route en traversant les champs, les quatre chars poursuivent leur périple vers Cugney.
Vers midi la colonne de chars présente à Gray depuis la veille s'est autorisée un arrêt détente à Onay Pour déjeuner ; à la Tuilerie Dubois, les propriétaires ne sont pas encore rentrés de leur escapade nocturne dans les bois. La cour est investie par les chars, canons tournés vers la route de Venère. Les Allemands font ripaille des biens de la maison : les bouteilles de Champagne réservées pour la communion de la fille mais aussi pour le retour du fils à la fin de la guerre, ont toutes été consommées. Un soldat en a même laissé son FM dans une pièce du dessus , bien vite caché sur les lapiniers, qu'il revient chercher le soir en moto. En revanche ils ont emporté le beau fusil de chasse neuf d'un des deux frères Dubois. Un geste est cependant à noter : les bêtes enfermées dans l'écurie depuis la veille devaient meugler ou hennir quand ils sont arrivés ; elles furent lâchées taureau compris ; dans le groupe il devait y avoir un fils de paysan allemand…
Cugney
Dans ce dernier village, un soldat français arrive à pied, demandant à Burgy, un vieux du coin la route prise par les autres soldats quant surgit une auto mitrailleuse allemande, le jeune militaire s'enfuit pour se cacher derrière une vieille tisse de paille. La rafale de mitrailleuse l'arrête net : à 13 heure 30 décède le muletier du 6ème Bataillon, Hubert Gleizes de Rafin, originaire de Paris, à l'âge de 33 ans, comme le mentionne le registre de la commune de Cugney. Image(03)
Il n'y aura aucun autre affrontement, dans le secteur, avec les troupes de la Panzer, la section de Pyrénéens, ou plutôt ce qu'il en reste, réussira à se cacher dans les bois et les champs pour ne pas être prise par les Allemands.
Ce n'est qu'en milieu d'après-midi que l'armada de chars légers, automitrailleuses... déferle sur Velesmes venant de Beaujeu. La grande majorité de ces véhicules gagne Onay puis Venère.
Venère
Samedi, les habitants ont constitué des barrages sur la route de Besançon, ordre de la Préfecture.
Ainsi fleurissent d'anciennes charrues à bandage toute disloquées mises à la réforme depuis une dizaine d'années, des herses, en gros tout le vieux matériel agricole inutilisable, abandonné autour des fermes...
Les gens du village, pour beaucoup qui ne voulaient pas partir, sont allés dormir dans les bois voisins, et rentrent au bercail, la faim les tenaillant mais l'appétit manque ; ils attendent avec inquiétude l'arrivée des Allemands. Ils gagnent les tranchées creusées derrière le village par les soldats d'une section du 4ème Régiment d'Auxerre stationné à Venère et à Cugney.
A 14heures 30 se présente l'immense colonne de chars précédés d'un side-car, celle arrive directement de Gray empruntant la N-67. Les premiers blindés débarrassent la route de ce ramassis de matériel sans aucune difficulté, puis la colonne poursuit son chemin sur Bonboillon pour atteindre Besançon avant la soirée, quelques blindés se postent sur la place et le long de la route pour y passer la nuit. Plus tard, ce dimanche encore, une autre colonne de chevaux tirant des canons montés sur essieux, des voitures de l'artillerie, traverse Venère. Le passage de ces troupes durera encore quelques jours sans vraiment d'interruption, monopolisant les écuries que les agriculteurs du village doivent abandonner à leurs hôtes, pour y loger leurs chevaux qu'ils doivent bien sûr nourrir et abreuver, comme les propriétaires…
Jeudi une cinquantaine de cyclistes allemands trouveront nourriture et hébergement pour leur nuit auprès des habitants. Ces jeunes soldats n'ont qu'un mot à la bouche quand ils entrent dans les habitations :-- des œufs--. S'il n'y en a pas, les gens doivent aller en chercher, mais ils les font cuire eux-mêmes.
Bonboillon
Les habitants ayant fui le village dès samedi vont se cacher sur le mont d'Hugier où les jeunes s'amusent à compter le nombre de chars passant loin devant eux. A 80 ils arrêtent, comme le convoi de blindés. Stupeur des adultes qui croient que les Allemands les ont aperçus. Non, la Wehrmacht profite tout simplement des cerisiers qui bordent la route pour une dégustation ou plutôt une consommation exagérée ? ils reprennent la route de Besançon un quart d'heure plus tard.
Cet été chaud, les Allemands recherchent les fontaines, une voiture légère allemande, un modèle Opel, se présente à Chancey venant de Bonboillon. Avant de remplir leurs bidons, les 4 soldats allemands font boire les jeunes pour vérifier que l'eau n'est pas empoisonnée, puis ouvrent 4 bouteilles de vin qu'ils consomment sur place, ont-ils fêté quelque chose? Bien restaurés, ils sont partis rejoindre la colonne de chars.
La 29ème DIM passe la Saône
Lamarche sur Saône à l’ouest de Pesmes
Dimanche matin 16 juin, les valeureux défenseurs prennent leur petit déjeuner ; les derniers habitants restés au village leur conseillent de partir mais ils refusent. Devant la maison Ménelon, le long de l'église stationnent une dizaine de motos et side-cars appartenant à des soldats français qui seront incendiées par les premiers éléments allemands arrivés en fin de matinée. L'aviation allemande bombarde la voie ferrée, des trous d'obus sont visibles un peu partout, même la Poudrerie de Vonges est atteinte : au niveau du grand magasin stockant courroies, d'huiles…,qui a brûlé ; une bombe est tombée sur le bâtiment à nitrates heureusement vide et, sur les piles de bois à carboniser pour faire la poudre qui s'enflammèrent.
Automitrailleuses et side-cars venus par Vielverge ont rapidement raison de nos territoriaux ; ces accrochages font deux tués (ils voulaient arrêter une automitrailleuse allemande) : un brigadier au 23éme GRCA de 25 ans originaire de la Gironde et un sergent du 81ème RI de 42 ans du Finistère. Un territorial est blessé soigné par le curé du village. Ces premiers soldats allemands, des jeunes surtout, profitent de l'heure et de l'absence des propriétaires des maisons pour faire un bon déjeuner sur place. A l'épicerie Clévier spécialisée dans la réalisation d'excellents saucissons et saucisses, les allemands la pillent,, certains en sorte avec des guirlandes de charcuterie autour du cou, d'autres en donnent à manger à leurs chevaux…
Les colonnes de chars défilent sans cesse, toute la journée et les deux jours suivants, ils prennent la direction de Soissons pour Auxonne et Dole avant d'opérer le basculement vers le Nord.
Pontailler sur Saône
Les Territoriaux et les Pyrénéens sont de bonne humeur ce dimanche, le soleil déjà présent augure d'une belle journée ; il ne manque plus que le petit déjeuner qui ne doit pas tarder.
Léon Fromentin fait la traversée de la Saône en barque pour leur apporter le café préparé par la dame Thevenet, patronne de l'hôtel des Marronniers, quand les premiers coups de fusil se font entendre, tirés par des Allemands qui viennent de prendre position. Le brave passeur se fait copieusement arroser, une des balles tirées vient percer un des bouteillons mais lui arrive sain et sauf sur l'autre rive qu'il ne quittera qu'après la bagarre.
Les Allemands s'installent évidemment dans les tranchées creusées dès le début de 1940, par les éléments du 35ème de Belfort sous les ordres du commandant Pétrement (les Allemands devaient venir par l'Est donc de Pesmes) …
Une carte postale datant de 1910 montre cet hôtel des Marronniers (ex boulangerie) où se sont installés les soldats allemands de la bataille de Pontailler. Image(04)
La riposte française se montre déterminée et forte, obligeant le commandement allemand à utiliser l'artillerie ; les obus pleuvent sur la rive où sont concentrés les Pyrénéens et les Territoriaux, un traverse la petite maison dans la cour de la famille Domont (Courtois). Le domaine sert de champ de bataille, les soldats couchés sur la terrasse tirent à travers les grilles et tiennent bon. Les Allemands envoient alors leurs canots pneumatiques en aval du pont pour contourner les soldats français dont les tirs précis font mouche et coulent leurs embarcations.
Mais d'autres soldats Allemands en face, arrivent en véhicules et chars légers. Ils ont franchi la Saône au pont de Lamarche pourtant miné mais les troupes françaises présentes au pont se sont enfuies, prétextant que la destruction du pont n'est pas indispensable. Ces Allemands empruntent le chemin de halage mais sont aperçus de quelques guetteurs pyrénéens. Un lieutenant et un caporal allemands à pied sont tués par le Lebel du capitaine Michelot (ces deux morts seront enterrés contrairement aux autres, dans le cimetière de Pontailler). La situation s'éternise au grand dam du commandant allemand qui veut en finir au plus tôt. Il fait parvenir au capitaine français un ultimatum de reddition sinon ils mettront le feu au village.
La situation française n'est cependant guère brillante, le manque de munitions commence à se faire sentir (60 cartouches par soldat au départ), les canots arrivent enfin à franchir la Saône. --Nos soldats ont tenu suffisamment longtemps, vous avez pleinement rempli votre mission, la décision de se rendre est la plus juste--, commente le capitaine.
A 13 heures la lutte cesse, le commandant allemand laisse même le capitaine Michelot remercier ses troupes pour leur bravoure et leur devoir accompli ; ils les met en ligne et au garde à vous, puis les passe en revue en les saluant tous. Un muletier sort de sa cache mais oublie de déposer son fusil, un Allemand aussitôt s'en aperçoit et lâche une grenade qui blesse le militaire.
Tous ces hommes présents au combat de Pontailler sont désormais prisonniers des Allemands et doivent être envoyés à Langres dans un camp qui comptera jusqu'à 40 000 hommes. Les anciens de 14/18 y restèrent trois mois avant de regagner leurs foyers, comme le préconisaient les conventions d'Armistice.
Les Allemands n'en ont pourtant pas fini avec Pontailler, la 29ème DIM doit passer la Saône, mais ne doit pas gêner la 2è Panzer qui progresse plus à l'ouest venant d'Is sur Tille et Mirebeau pour gagner Auxonne et Dole ; le pont de Lamarche lui est réservé. Un pont-bateaux est donc jeté d'une rive à l'autre, côté Gray. Il est à penser que des colonnes de véhicules de la 29è DIM empruntèrent lcependant le pont de Lamarche. Le trafic devait être intense, chacune des divisions allemandes voulant avancer sans être ralentie.
Après la Libération, une baisse très prononcée des eaux de la Saône mit à jour une voiture légère allemande que la Poudrerie sortit avec un de ses engins ; une manœuvre malheureuse lors du franchissement de la rivière avec le pont-bateaux de juin 40.
La progression de cette division motorisée ne sera plus freinée qu'au carrefour avec la route de Dole. Elle atteint dans la nuit Pontarlier.
Cléry
La population a déserté le village occupé seulement par quelques vieux qui ont déjà vu les Prussiens et ne les craignent pas. Elle a néanmoins lâché les bêtes dans les prairies, mais le bruit infernal des engins chenillés les affole, un cheval appartenant à Mr Métrot est accroché par un blindé léger, puis poussé dans le fossé pour libérer la route.
Vers les 14 heures, une demie-douzaine de soldats français arrivent à la lisière du bois de Cléry par la route venant de Broye. Ils tirent une petite charrette à deux roues où sont entreposés leurs munitions et leur barda. Veulent-ils franchir la N459 pour fuir vers le sud ?
Ils sont vite repérés par une automitrailleuse allemande qui se dirige tout droit vers eux. Les soldats français échangent des tirs de fusil contre des rafales de mitrailleuse. Sans illusion, ils se sauvent et regagnent le bois, abandonnant leur charrette. Hélas un militaire du 80ème RI, en affectation réservée, Gabriel Boisselier, de 40 ans originaire de Varennes en Côte d'Or, est touché et meurt au lieu-dit Les Grands Joncs. Deux vieux du village partent rechercher le corps du soldat français, le dépose dans une grange. Dans la soirée, il est mis en terre enveloppé dans sa capote, sans aucune cérémonie.
Plus tard, une demande est formulée par la famille au Standort-Kommandant de Pontailler pour ramener son corps dans son village natal, elle obtient un avis favorable le 30 décembre 1940 avec la réserve suivante : »Mais l'enterrement sans cérémonie nationale ! (sans drapeaux e.t.c) écrite en gras et souligné dans la certification. Les Allemands, ont t-ils eu peur d'un réveil patriotique de la population ? Image(05)
Un peu plus loin, à la sortie de Mutigney, un nouveau drame aussi se joue. Aux premiers échanges de coups de feu, deux jeunes du village, André Monnin Bareil et Georges Lévêque, décident de partir et fuir le champ de combats à venir; ils sautent sur une moto abandonnée par un soldat français et rejoignent la nationale de Dijon à Besançon. Des chevaux de frise barrent la route ; les jeunes ouvrent le passage. Mais au lieu-dit Aux Quatre Fesses, ils sont alors pris à partie par un side-car allemand, la mitrailleuse crache une volée de balles sur les civils. Touché par l'une d'elles qui lui a pratiquement traversé le dos, le jeune Monnin Bareil 17 ans1/2 décède le lendemain 17 juin, malgré l'intervention du père Jussiaux qui réussit à lui retirer cette fichue balle avec une pince. Son pote Lévêque en prend une aussi, mais elle ne lui cause qu'une belle éraflure contre la jambe, soignée par Marie Grenot.
Accrochage mortel à Marpain
Le pire est pourtant à venir, près du village de Marpain. La veille vers les 6 h du soir, des gardes mobiles français attachés à la défense de Gray, précipitent leur retraite pour ne pas être pris par les avant-garde allemandes ayant franchi la Saône, sur ordre du chef d'escadron Moreau commandant la Garde Républicaine de Gray, ils rejoignent les camions postés aux Tilleuls. Dans la soirée ils gagnent le Sud, plus particulièrement Pesmes et son pont sur l'Ognon. Ce pont leur offre une possibilité de ralentir les premiers éléments blindés allemands bloqués à Gray pour la nuit.
Le pont est mis en défense, les mobiles établissent un barrage constitué d'engins agricoles abandonnés depuis longtemps, de chariots et de pneus usagés sortis directement du garage Jacques tout proche.
Tôt le matin le commandant Moreau demande à ses troupes de décrocher et de rejoindre la N-459 à hauteur du village de Marpain. C'est là que maintenant les gendarmes doivent freiner les éléments avancés de la 29ème DIM, enfin sortie du piège de Pontailler sur Saône.
Les gardes mobiles s'installent en différents points du secteur, cachent les camions et autres véhicules derrière une butte, près de l'ancien chemin de desserte conduisant à Marpain. Des acacias le long de la route leur permettent de ne pas être vus de la route, mais hélas pas de l'avion de reconnaissance, un Fiseler Storch, qui survole leurs positions. Automitrailleuses et side-cars déboulent, abandonnant la superbe route spécialement goudronnée (pour eux…), et foncent à travers les champs en direction de Marpain. Les premiers tirs commencent près de l'ancienne gare du Tacot. C'est la débandade parmi les gardes mobiles qui font plus que se défendre, ils répliquent aux assauts allemands mais ont des pertes sérieuses. La seule issue consiste à fuir l'encerclement que les troupes allemandes leur imposent. Un premier camion réussit à passer malgré le tir nourri des automitrailleuses et gagne Dole ; un second véhicule en fait de même, mais un gendarme est touché et meurt aussitôt. La suite des opérations n'est plus qu'une série de nettoyages des groupes isolés de ces braves gendarmes français. Dans cette dernière opération le cas du gendarme Albert Bachelet mérite d'être raconté.
Matricule 511, du recrutement de Lons le Saulnier et de la classe 1932, il est tireur au FM, pour le côté militaire ; côté civil il est marié à une habitante de Marpain dénommée Vernet dont il a un fils de deux ans.
Peu après, comme ses collègues il a du essayer de fuir ces lieux, et gagner le village de ses beaux parents par un chemin qu'il connaît bien. Une balle tirée avec précision lui a perforé le casque le tuant net, à quelques 200 m de la maison familiale. Le tir n'a pu être exécuté par la mitrailleuse d'un side-car mais bien par celui d'un fusil d'un soldat embusqué, qui l'attendait au passage de cette côte.
Dans la citation lui accordant la Médaille militaire à titre posthume, on loue son sang-froid et son mépris du danger lorsque laissant venir les engins motorisés ennemis, il déclencha au moment opportun, un tir nourri stoppant l'ennemi et lui causant des pertes. Image(06)
Il est 15 heures 30 quand cessent les combats, le bilan de cet accrochage est lourd pour nos mobiles. 5 hommes y ont laissé leur vie : outre Albert Bachelet enterré à Marpain comme Louis Brianza garde mobile de Besançon âgé de 43 ans, il faut ajouter Louis Pretet aussi de la Garde mobile de Besançon âgé de 41 ans, inhumé à Lons le Saulnier et deux hommes de la Mobile de Gray, les gendarmes Bichon et Beauvais dont on ne sait pas où ils ont été enterrés. De nombreux blessés parmi les gendarmes, en particulier le commandant Moreau touché dès le début des affrontements, laissé pour mort et qui a repris vie dans la nuit.
Avant de poursuivre leur route sur Besançon, les Allemands ne laissent rien traîner, ils n'oublie pas d'incendier le camion caché par les gardes mobiles.
A 16 heures, les blessés sont transportés en voitures à chevaux par deux vieux du village de Dammartin dont Emile Henry. Un des blessés tient haut un bâton auquel est accroché un drapeau blanc. Ce convoi se dirige sur Pontailler sans surveillance allemande où il croise la colonne allemande s'approchant de Cléry et occupant toute la largeur de la route. Il est à penser que certains se sont échappés avant d'arriver à Pontailler, lieu de prise en charge de ces prisonniers…
Cette route nationale empruntée par les Allemands depuis Cléry jusqu'à Jallerange a été refaite à neuf, le roulage du goudron ayant été achevé ce vendredi 14 juin dans l'après-midi et le cylindre est encore sur place. L'ouvrier des Ponts et Chaussées chargé de le ramener au dépôt ainsi que son épouse ont été invités à partager le repas de midi de la famille Barthoulot à Montrambert.
Aux premiers échanges de tirs de Marpin, le couple prend peur et abandonne la table. Il part sur Dole, et tant pis pour le cylindre ; pourtant la TSF annonçait les Allemands dans les environs de Gray (il y a belle lurette qu'ils avaient quitté Gray…).
Cette nationale a été goudronnée selon la méthode d'antan : le macadam à l'eau, elle constitue un tapis rouge étalé sous les chars de la Wehrmacht. Des Allemands parlant très bien le français eurent ces mots :-- On est crevé de courir après les Français qu'on n'arrive pas à rattraper, mais la route est si belle--.
Le calme revient dans le secteur, mais à 19 heures, le gros de la 29ème DIM arrive : de grosses autos blindées, des automitrailleuses et des chars légers sans oublier les side-cars et motos. Cette armada ininterrompue de véhicules va circuler toute la nuit de dimanche à lundi. Le lendemain le passage de blindés se poursuit, un tombe en panne devant Montrambert, son chauffeur va chercher de l'eau à la maison Barthoulot, sans bloquer les véhicules qui continuent de défiler. Mardi la division motorisée n'est pas totalement passée, des motocyclistes allemands ayant pris la maison Barthoulot pour un hôtel, bloquent dans la soirée le passage des chars. Un officier, panneau à la main, se met au milieu de la chaussée et arrête la circulation des blindés pour faire passer les vaches de la ferme qui viennent d'être traites, elles doivent traverser la Nationale, peu pressées de rejoindre le parc comme à leur habitude, dans un désordre que l'on peut deviner. La colonne de blindés assiste calmement, avec un certain sourire, à la seule intervention qui ait pu arrêter la grande armée allemande, un troupeau de vaches ….
En partant, les agents de circulation laissent un pourboire au maître d'hôtel : une grosse boite de Banania volée sûrement à une épicerie d'un village traversé peu avant.
Après les passages de ces interminables colonnes de véhicules, la nationale dans une partie non encore goudronnée, est restée plus d'un mois dans un état déplorable, arrachée de toute part, les cailloux de dessous ressortent de la chaussée, les chars répartis sur deux bandes de la chaussée ont fini par creuser des tranchées. La largeur de la route en était réduite à trois dénivelés d'au moins 30 cm. Impossible d'y passer, même en vélos, quand les habitants de Champagney, par exemple voulurent aller chercher leur pain à Thervay,--Tout ça pour eux, pour ça--, c'était la réflexion entendue souvent dans les discussions.
La progression de cette division motorisée ne sera plus ralentie . Les éléments avancés de la 29ème DIM atteignent dans la nuit Pontarlier !. La transmission de cette bonne nouvelle par le général Gudérian à Hitler lui vaut un rectificatif, tant pour Hitler cette annonce est impensable: » la 29éme DIM est à Pontailler »-»Non mon Fuhrer, j'ai bien dit : Pontarlier ».
C'est à Pontarlier qu'aura lieu le lendemain le basculement de cette division vers le Nord pour compléter l'encerclement de la 8ème Armée, la 1è Panzer remontant depuis Besançon sur Baume les Dames et Belfort, la 29è DIM depuis Pontarlier longera la frontière suisse par St Hyppolite our gagner Belfort, quant à la 2è Panzer depuis Dole elle atteindra Marnay, Villersexel puis Lure. Cette stratégie réussie sur le front Nord et réutilisée à merveille dans l'Est, ne laissera guère de chances à nos soldats pour sortir de cet étau.