B14-Samedi 15 juin 40
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- Catégorie : B1-De 1939 à 1940
- Publié le vendredi 1 mars 2019 09:40
- Écrit par THIEBAUT Alain
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Samedi 15 juin 1940
Les Allemands arrivent…
Sie kommen..
Après avoir envahi le Nord de la France et encerclé les troupes françaises, l'Etat Major allemand s'en prend à celles du Nord-Est, la tactique reste la même qu'en mai 40 : foncer plein plein Sud puis opérer un basculement des armées vers l'Est afin de bloquer leurs divisions. Mais où va t-il s'opérer, à hauteur de Langres, non ils y sont déjà, à hauteur de la Saône pour remonter sur Vesoul et Belfort, c'est plus que probable ; ils ne vont tout de même pas opérer le basculement encore plus au sud afin d'encercler une plus importante partie des Armées concentrées dans l'Est...
Des directives préfectorales arrivent dans les communes préconisant d'établir des barrages susceptibles de freiner leur progression.
Les entrées de Chaumercenne par les routes de Valay, de Chancey et Montagney sont entravées par des murets de pierre sur chaque moitié de largeur de route, décalés d'environ deux mètres. Ils sont l’œuvre des jeunes du village assistés par des habitants devenus maîtres en stratégie militaire. Deux jours plus tard ils sont démontés, perturbant trop la circulation et l'activité des habitants …
A Venère, des soldats français stationnant depuis plus d'une semaine, appartenant au 4ème d'Auxerre ont creusé des tranchées derrière le village ; ce sont de jeunes recrues de l'infanterie qui font leur instruction. Ils repartent 3 jours avant l'arrivée des Allemands dans des autobus parisiens réquisitionnés ; ils demandent à la population d'établir des barrages sur la route de Gray en y déposant tout leur matériel agricole usagé, faucheuses, chariots, des vieilles charrues à bandage refont leur apparition, tonneaux….remparts dérisoires pour les chars qui pousseront tout ce matériel dans les fossés.
A la ferme de Gomerey, la situation est identique, mais la voiture de foin qui vient d'être déchargée puis mise sur le barrage, à l'arrivée des Allemands dans Venère, on y met le feu. Cela pouvait-il impressionner et freiner les blindés allemands… qui d'ailleurs n'y viendront jamais, pas plus que l'occupant plus tard.
Commencées début juin, les opérations militaires conduites par le général Gudérian ne rencontrent vraiment qu'une faible opposition dans leur plongée vers le Sud, les villes tombent au fur et à mesure si bien qu'au 14 juin, à midi les Allemands sont à St Dizier.
Dans un couloir d'une cinquantaine de km de largeur, les 3 divisions du Panzergruppe Gudérian déboulent, deux divisions blindés, les 1ère et 2ème Panzer, encadrant une division motorisée, la 29ème DIM, rien ne les arrête. Les bombardements de l'aviation allemande pour ouvrir la voie aux blindés permettent une avancée très rapide des leurs forces vers notre région. Rien ne semble les arrêter.
Ce vendredi 14 juin 40, les troupes allemandes entrent dans Paris, plus près de nous, St Dizier est occupé. La progression des troupes de la 1ère Panzer vers le Sud est irrésistible et rapide. Elle poursuit son avancée dans la nuit si bien qu'aux premières heures du matin du 15 juin, la place forte de Langres dont on espérait une sérieuse résistance, cède à l'envahisseur faisant 3000 prisonniers. Il nous faut suivre tout particulièrement la 1ère Panzer qui file vers Gray, et la 29ème DIM vers Pontailler, la 2è PZ est à Bar-sur-Aube et semble se diriger sur Dijon.
La 1ère Panzer déboule en Haute Saône.
L'infernale avancée allemande dans l'Est inquiète au plus haut point l'Etat Major français. Impossible de tenter de la freiner avec les dérisoires moyens qu'il lui reste, il est alors décidé, au soir du 14 juin, de la contenir au niveau de la Saône : résister puis faire sauter les ponts à leur arrivée, de Prantigny à Lamarche. Image(01)
C'est la mission de la dernière chance aux résultats non garantis tant la tâche est immense. Le peu de soldats disponibles, il faut de toute urgence les envoyer sur place.
Samedi à midi la TSF annonce l'avant-garde allemande à Saint Dizier alors que les premiers éléments sont en approche de Champlitte...
Champlitte samedi 15 juin
D'ailleurs dès ce matin un avion Henkel 111 a été abattu par une patrouille d'avions français sur le territoire du Prélot. La jeune Jeanne Guyot au guidon de son vélo, envoyée spécialement par son père pour connaître la situation à Champlitte va vivre un enfer. La route encombrée de béarnes (les hautes charrettes à deux roues tirées par un cheval), elle assiste bien malgré elle au crash du bombardier. Son père la retrouve plus tard immobile, prostrée devant le cadavre d'un aviateur allemand dont le visage brûle encore. Cet avion venait sûrement bombarder les lieux où les blindés allemands devaient s'engouffrer plus tard.
En effet, il n'est pas encore 14 heures que s'engagent dans les virages à l'entrée de Champlitte les premiers éléments motorisés de la 1ère Panzer du général Gudérian. Elles ont progressé à toute vitesse depuis Langres.
De ces hauteurs ils ont une vue plongeante sur la dernière colonne de soldats français ayant quitté le bourg, éparpillés sur la route de Frettes et qui se replient vers le sud. Des réfugiés venus de la région nancéenne qui fuient les lieux d'affrontement, dans des béarnes (chariots à 2 roues de très grand diamètre tirées par un cheval), où ils y ont fait une halte à Champlitte. Ils fuient sur la route de Bourbonne. Ces premiers Allemands stoppent leurs véhicules et opèrent des tirs d'artillerie sur le convoi ; une vraie boucherie, les morts sont laissés sur place et les Allemands repartent en direction de Gray. Les mitraillages de ces convois par l'artillerie allemande ne font pas le tri entre réfugiés et militaires.
Le « burgmeister » Jean Debelfort mandé par l'officier allemand commandant cette avant-garde enregistrera le décès de 18 militaires français et de 6 civils, d'abord laissés sur place puis ensuite amenés en soirée à l'hôpital de Champlitte, hôpital de campagne ayant pris vie en 1939 mais depuis vidé de tous ses occupants. Un pharmacien, un docteur, ma tante Paulette Thiébaut comme infirmière qui n'a jamais eu le moindre diplôme en la matière, et un électricien, vont y officier pour soigner les blessés et installer les morts dans un hangar situé dans la cour de cet hôpital.
Le bilan de l'accrochage de Champlitte est lourd, en plus des tués il faut y ajouter 4 à 500 soldats faits prisonniers dans les environs.
27 cercueils doivent être conçus pour les 24 morts français et les 3 aviateurs allemands qui ont péri le matin dans le crash du He 111, cercueils en bois approprié pour les premiers, mais la réserve est bien vite utilisée (les 27 décès correspondent d'habitude à une année ordinaire pour tout le bourg), les suivants sont en sapin, sapin qui va finir par manquer, pour les derniers, le menuisier Chopitel assisté exceptionnellement du jeune Albert Résillot devront les faire avec de lame à parquets ; ils y travaillent jour et nuit pour confectionner les cercueils ; certains corps ne seront enterrés qu'une semaine après leur décès…
Le registre d’État Civil de Champlitte mentionne que le 1er soldat français tué le 15 juin 1940 le fut à 14 h et quart, rue du Bourg, lors de l'entrée allemande en cette ville. La liste de 27 morts français et allemands enterrés au cimetière est donnée à part : Image(02) Image(03)
Arc les Gray
Arrêtées quelques temps à Champlitte, ces troupes allemandes foncent alors sur Gray sans aucune résistance française si ce n'est le colossal embouteillage au rond-point d'Arc les Gray avec la route de Dampierre sur Salon. Pressés d'atteindre la Saône, les fantassins et les motocyclistes ennemis peuvent passer mais pas les chars, alors les Allemands s'énervent, usent et abusent de leurs armes en toute circonstance.
Il est 15 heures, un blindé tire volontairement à la mitrailleuse sur un car de réfugiés venu de l'Est de la France qui entrave leur progression vers la Saône, bilan : 8 civils sont tués dans ce car dont 6 de la même famille originaire de Neuves-Maisons en Meurthe et Moselle. Plus encore des avions allemands mitraillent les routes d'accès au Pont de Pierre ainsi que les voies ferrées. La voiture du général De Courson est prise dans le bouchon et atteinte par une rafale tirée d'un des avions : l'adjoint du général, le capitaine Dupuy est tué sur le coup et le général est blessé à la tête, une balle lui a traversé le képi. Sommé de se rendre, le général préfère la mort en tentant de dégainer son arme. Plusieurs civils outrés du comportement des envahisseurs se rebellent et y laissent leur vie. Ainsi cet ancien de 14/18 arrivé près d'un soldat français tué s'empare de son fusil et aligne un chef de char fièrement dressé à la tourelle ; la réplique ne se fait pas attendre et la mitrailleuse du blindé crible de balles le corps du valeureux combattant.
Les combats d'Arc les Gray ont fait 13 morts côté militaire dont les 2 officiers déjà cités , deux lieutenants, et 19 victimes civiles dont les 8 du car de réfugiés, une neuvième blessée décédera à l'hôpital de Gray. Un monument souvenir a été érigé proche l'endroit où le général de Courson et son capitaine ont été tués. Image(04)
Gray
Peu avant les premiers échanges de tirs à Arc les Gray, un lieutenant français sur le Pont de Pierre fait activer les passages des véhicules civils et surtout militaires sur la rive gauche de la Saône. Des gendarmes de la Haute Marne assistés d'éléments d'un régiment de pionniers et d'une section du 6ème Bataillon de Chasseurs Pyrénéens sont postés à ce pont, d'autres éléments d'unités disparates sont réparties en amont et aval.
Dans l'urgence, avant l'arrivée prochaine des Allemands, la SNCF fait partir un dernier train de Gray. Les portes sont fermées et le train démarre, mais il n'effectue qu'une centaine de mètres ; il n'a pas totalement quitté la gare que le train est bombardé par l'aviation allemande. La belle marquise de la gare se trouve réduite en miettes, on connaît la suite pour les occupants du train.
De par et d'autre de la Saône on entend résonner les premiers échanges de coups de feu, les sapeurs du génie français font alors sauter le Pont de Pierre, puis les deux autres ponts, il est environ 15 heures 30.
Remarquez sur l'image(05) l'église a perdu son clocher, dans la (06) les soldats posent devant le pont tombé à l'eau. Image(05) Image(06)
Les premiers motorisés allemands atteignent enfin la Saône ; peuvent alors commencer les combats de Gray, affrontements inégaux et disproportionnés. Des Allemands en grand nombre qui ont fait leurs preuves dans les rapides franchissements de rivière, dotés d'une artillerie lourde, canons, mitrailleuses et mortiers, et face à eux quelques modestes groupes de soldats français disposant d'un armement léger : fusils et quelques mitrailleuses. Depuis la côte Turck, les canons allemands tirent sur le clocher de la basilique croyant y voir un poste de guet français renseignant les troupes au sol. A 16h 30 il prend feu, embrasant aussi de nombreuses maisons proches de l'église dont la sous-préfecture et le presbytère. Du côté du pont de pierre, tout n'est que ruines et désolation, Gray est en feu.
Puis les combats diminuent d'intensité, les soldats français ont résisté comme ils ont pu.. Leur courage et leur abnégation ne suffisent pas à contrer cette armée victorieuse.
Vers les 19 heures, les valeureux soldats français ont fait le maximum qui était de ralentir l'avancée des Allemands, de plus les munitions vont bientôt faire défaut, il est temps de quitter la zone des combats et se retirer de toute urgence sur Pesmes pour certains, et Dole pour d'autres.
En effet des éléments motorisés se présentent en amont de Gray. Mon père avec ses parents ayant quitté Gray lorsque les combats ont commencé sur la Saône, croisent vers les 17 heures à la sortie d'Ancier, sur la route de Corneux, une colonne allemande composée de blindés, d'automitrailleuses et de motos. Ces éléments ont donc franchi la Saône en amont, probablement au pont de Prantigny que les sapeurs français n'ont fait sauter que vers les 18 heures, la passerelle de Rigny ayant été détruite peu après l'explosion du Pont de Pierre de Gray.
A 20 heures Gray est aux mains des Allemands, ils sont les maîtres de la ville.
Les efforts déployés par ces valeureux soldats à Gray pour freiner cette avancée irrésistible de l'ennemi, auront coûté la vie à 31 personnes dont 9 civils, 6 gendarmes de Haute Marne sont tués au cours de ces affrontements, d'autres ne seront pas épargnés le lendemain dans les environ de Pesmes.
La ville a beaucoup souffert de ces combats, en plus du clocher de l'église qui a brûlé ainsi que les bâtiments environnants, il faut mentionnés ceux au bord de la Saône détruits lors des combats, comme le restaurant de la place, noter la présence de 2 soldats allemands, surveillent-t-ils les lieux ?
Un graylois venu avec sa brouette constate l'étendue des dégâts. Image(07)
Mais pour l’État Major allemand, la prise de Gray n'a que peu d'importance, il leur faut atteindre le plus rapidement l'objectif fixé :Besançon, mais pour cela la Saône doit être franchie rapidement par la 1ère PZ afin d'encercler toute la 8ème Armée encore présente dans le Nord Est, mais pour cela, il faut trouver un pont entier, la Panzer ne peut attendre. Demain dimanche 16 juin, elle doit entrer à Besançon ; tout retard la prive de milliers de soldats français prisonniers.
Le pont d'Apremont
En aval de Gray il y a le pont d'Apremont. En voici une carte postale avant son explosion le 15 juin1940 par des soldats du génie français. Image(08)
Au matin du 15 juin arrive un contingent de Chasseurs Pyrénéens. Des hauteurs d'Apremont, les soldats ont en ligne de mire la route de Mantoche où les Allemands sont susceptibles d'arriver, mais aussi ils peuvent admirer ces armes dites dissuasives, conception des grands penseurs de notre Armée française : 8 avions-leurres disposés en 3 groupes entre le canal et la Saône, on aurait dit des vrais: des bi-moteurs avec cockpit en plexiglas, roue avant en caoutchouc, celle arrière en bois parfaitement imitée. Des soldats français ont une nuit apporté le matériel et monté ces avions postiches sur place. Une idée géniale!
Aussitôt débarqués quelques soldats français mettent en batterie deux mitrailleuses : une chez Werner un alsacien, l'autre à l'ancienne maison communale. D'autres préparent les explosifs qu'ils mettent dans la chambre à mine tandis qu'un officier s'en va trouver Mr Jean Ballot propriétaire de la maison située à la sortie du pont. -- On prend possession de toutes les pièces de votre maison, rapport au chemin de Mantoche par où les Allemands sont susceptibles d'arriver--.
De ce fait, il n'y a pas le choix : toute la famille Ballot quitte Germigney peu après midi. Pour les gens d'Apremont qui ne veulent pas partir et les soldats français en poste dans les endroits stratégiques, il n'y a plus qu'à attendre les Allemands…
Car les Allemands vont arriver.
L'explosion des ponts de Gray interdit le franchissement de la Saône au pied de la ville. Mais une immense colonne de chars, automitrailleuses, camions tirant des canons précédée de side-cars a quitté la route de Gray. Elle se présente à Mantoche par le chemin de Poyans, dans une poussière inimaginable et un vacarme infernal. Au passage à niveau, un groupe de gendarmes de Darnay voit arriver les premiers side-cars, ils font feu. Deux Allemands sont tués mais dans les échanges de tirs, l'adjudant Marie Peter trouve la mort, mort bien inutile car elle n'a pas ralenti la progression de l'ennemi.
Plutôt, vers les 11heures du matin, l'aviation allemande fait des siennes, bombardant les voies ferrées d'Auxonne à Gray et au-delà, ainsi que les routes, même ses propres troupes au sol (il faut l'envoi de fusées de couleur pour que cessent ces bombardements contre elles). L'un d'eux est fatal à un cultivateur célibataire de 60 ans, Charles Davadan, mort sous le bombardement de sa maison à Mantoche.
La colonne poursuit sa route et se dirige droit sur Apremont dans l'espoir d'y trouver le pont intact.
Du haut d'Apremont,vers les 7 heures du soir, les soldats français voient apparaître les premiers side-cars. Des échanges de coup de feu ont lieu à l'arrivée de ces motorisés. Les Allemands ont vite repéré les deux mitrailleuses. Un obus allemand massacre le linteau de la maison où se trouve la première, la maison Werner subit le même sort. La base du clocher a elle aussi fait les frais des combats.
Mais certains Pyrénéens sont de mauvaise humeur, leurs fusils pointés vers l'ennemi ne servent à rien car les munitions qui leur ont été livrées ne sont pas du même calibre que leurs armes, de rage ils fracassent leurs fusils puis les abandonnent près de l'église.
Deux violentes déflagrations se produisent alors presque simultanément ; il ne reste plus rien du joli pont de pierre d'Apremont. Curieusement des maisons et l'église ont subi des dégâts mais la maison Ballot est restée intacte…Les soldats français ont rempli leur mission et se retirent d'Apremont emmenant avec eux quelques habitants qui craignent l'arrivée des Allemands au village. Ils vont aller dormir dans les bois voisins.
Pendant toute la nuit, la prairie au pied d'Apremont se remplit de chars et autres véhicules. Sur 3 km de long, combien peut-il y en avoir ? Des centaines, un millier, peut-être plus ?
Le reflet du clair de lune sur les tôles des blindés confère à cette prairie une teinte rougeoyante
très appréciée par quelques habitants du village présents à ce spectacle qu'ils n'ont toujours pas oublié.
Au matin deux Morane 406 (preuve que l'aviation française n'a pas totalement déserté les zones de combats) canonnent la colonne allemande à plusieurs reprises, les Allemands répliquent depuis le pont du canal par des tirs au canon de 77. Des éclats sont retrouvés dans divers endroits de Mantoche et des environs. L'intervention de l'aviation française accélère le départ de toute la colonne allemande qui prend probablement la direction de Gray pour ne pas gêner, sur son flanc droit, la progression de la 29ème DIM du général Von Langermann que l'on verra plus tard entre Renève et Pontailler sur Saône.
Et encore d'autres ponts
Les ponts de Gray ayant sauté, plus en amont il y a d'abord la passerelle métallique de Rigny.
Des Chasseurs Pyrénéens commandés par un jeune aspirant, en poste dans la petite maison en face l'ont fait sauter au premier coup de feu tiré par on ne sait qui, vers les 4 heures de l'après-midi ; boulons, morceaux de ferraille endommagent quelques maisons aux alentours. Explosion bien inutile, les chars n'auraient pu l'emprunter...
Plus en amont encore le pont de Prantigny face à Montureux. Des Pyrénéens, peut être les mêmes qu'à Rigny, arrivés vers les 11heures du matin, le préparent pour le faire sauter. Image(09)
Peu après, un bombardement aérien, par des avions allemands et non italiens (comme les habitants le disent) provoquent le départ des villageois qui se réfugient dans le bois du château, mais aussi celui des Pyrénéens qui ont miné le pont. Las d'attendre l'explosion de leur pont, ils rentrent nourrir leurs bêtes à l'écurie. Peu après, vers les 17 heures 30, le pont tombe enfin dans la Saône comme la voiture de ces deux Juifs pressés de rentrer à Gray qui ne sont pas aperçus de la disparition du pont..
Leur inattention que l'on peut comprendre, ne leur coûte heureusement que quelques contusions, mais l'issue aurait pu être fatale car les Allemands présents lors de cet incident, ont même tiré quelques balles en direction des occupants de la voiture, ceux-ci ont dut terminer le voyage à pied. En raison de l'heure tardive de l'explosion de ce pont, les premiers Allemands arrivés dans Gray ont très bien pu l'emprunter avant qu'il ne saute, et être les premiers à rentrer dans Gray au soir du 15 juin 40.
Et le pont de Quitteur ?
Au matin du 15 juin des soldats français s'installent à Autet ; Ils réquisitionnent quelques habitants du village pour garder le pont avec leurs propres fusils : curieuse attitude. Au départ de ces soldats, les habitants quittent Autet ou se réfugient dans les caves. Quelques Chasseurs Polonais viennent visiter le pont mais repartent, eux aussi…
Les bombardements par la Luftwaffe de la voie ferrée et de la gare de Gray dans l'après-midi provoquent la suspension de tout trafic ferroviaire. Dans la gare d'Autet des trains de toute nature sont bloqués, comme ce train transportant une section d'artillerie du 26è RA (Régiment d'Artillerie). Au lieu d'attendre vainement un redémarrage du trafic, son capitaine préfère débarquer ses hommes, les chevaux et tout le matériel en particulier quatre pièces pour défendre le pont de Quitteur tout proche. Image(10)
Initiative heureuse, les Allemands ne passeront pas par là….
Les officiers installent leur Etat Major au petit château de la famille Gauffinet.
Les infirmiers occupent la cave car les propriétaires tiennent à rester dans leur maison. Ils n'ont voulu partir,même les combats qui risquent de se produire ne leur ont pas fait changer d'idée.
Des hommes du Génie ont installé les explosifs dans la chambre à mine en vue de le rendre inutilisable si les Allemands s'y présentent, ils n'auront plus qu'à déclencher l'explosion.
Vers les 8 heures du soir le capitaine réunit ses hommes : --Mes enfants, il faut qu'on se remue un peu : ces Messieurs (les Allemands) ne vont pas tarder à nous tomber dessus-- Tout le monde peut aller se coucher et profiter de la nuit.
La 29ème DIM en approche de la Saône
Passons plus à l'ouest, à l'aval de Gray des ponts existent sur la Saône. Dans les plans de Gudérian, le flan droit de la 1ère Panzer est occupée par la 29ème DIM du général Von Lagermann.
Ce samedi 15 juin, cette division motorisée après avoir passé Fontaine Française s'installe à Renève. C'est un régiment d'infanterie dont l'avant-garde entre le village vers les 4 heures de l'après-midi , des side-cars et des camions, des voitures légères aux formes droites, des engins bizarrement longs avec deux roues à l'avant et des chenilles à l'arrière, des automitrailleuses avec mitrailleuse ou canon et une tourelle d'où émerge un officier au visage couvert de poussière mais qui se dresse fièrement. Cette armada de véhicules s'engouffrent dans les vergers et les clos pour lesquels les chars défoncent naturellement les portails pas assez larges pour y entrer. D'autres ne font que passer, ils poursuivent sur Talmay, mais l'objectif est bien Pontailler sur Saône et son pont.
Plus tard des hommes à pied couverts de poussière, exténués par la marche, qui récupèrent des vélos à la moindre occasion, des chevaux tirant canons, des chariots et des roulantes envahiront le village, Dans la nuit le village continue de se remplir à tel point qu'au matin les rues ne sont plus que d'interminables files de véhicules militaires de toute sorte.
Les fontaines, abreuvoirs ou puits du village se transforment en lieux de toilette pour ces soldats qui ont enfin pris du repos ; torse nu pour la toilette ils s'exhibent en pleine rue, indifférents aux regard des villageois qui les observent discrètement.
Le général Von Langermann en personne, commandant la 29èmè DIM, fait honneur au village en passant la nuit au château du Petit Renève.
Talmay et le Port St Pierre
A leur arrivée au-devant de l'église de Talmay, les premiers allemands sont accueillis par un curieux citoyen qui leur barre la route. N'ayant comme seule arme qu'une simple rame de haricots, il la pointe en direction du chef de char. Le valeureux combattant de 14/18 refuse de s'écarter de la route du char qui poursuit lentement sa progression, son audace lui coûte une jambe (cassée), le convoi reprend sa marche. Une partie s'installe dans Talmay pour la nuit, les véhicules s'engagent dans les cours de fermes pour se protéger d'éventuels bombardements aériens.
Les engins de la 29ème DIM défileront toute la nuit de samedi à dimanche, envahissant la prairie le long de la Saône.
Quelques véhicules pourtant se dirigent directement au Port St Pierre : pensent-ils y trouver un passage pour traverser la Saône ? Il n'y a pas de pont, mais seulement un bac (pour rejoindre Broye les Pesmes) qui ne peut guère transporter qu'une charrette à la fois….Ils sont accueillis par une fusillade nourrie opérée par un groupe de Chasseurs Pyrénéens cachés derrière des piles de bois destinées au transport fluvial. Un soldat allemand y laisse la vie, son corps est ramené par un officier à Talmay sur une automitrailleuse bloquée sous le pont de la gare par un troupeau de vaches qui refuse de s'écarter. Le gradé allemand doit descendre de son véhicule pour faire passer les bêtes avant lui et libérer le passage !…
Cet accrochage fait cependant deux victimes françaises dans le contingent de muletiers : le chasseur pyrénéen Emile Capdevielle de Toulouse meurt au Port St Pierre. Son corps est enterré dans la soirée par le maire de Broye Ferdinand Ferrut. Un second Chasseur du 6ème Bataillon est blessé, François Peléfigue d'Aurensan. Transporté dans la Traction des abbés Guilloz de Broye les Pesmes, il décède lors de son transfert à l'hôpital de Besançon.
En début de soirée, une reconnaissance allemande est effectuée sur Pontailler. Une estafette de trois voitures allemandes entrent dans le village et se trouve face à trois chars Renault, reliques de la guerre de 14/18, déplacés spécialement de la poudrerie de Vonges destinés autrefois à la protéger... Un char se met en travers bloquant l'avancée de la première voiture alors que les deux autres font demi-tour. Les deux allemands en tenue gris-bleu s'extirpent de l'auto, sans armes et se mêlent aux gens, stupeur de ces derniers qui tombent peu après nez à nez avec un mobilisé du village, le sergent Paul Bardy marchand de vins qui rentre chez lui. Stupéfaction des deux côtés, les trois combattants s'enfuient … Demain il n'en sera pas de même.
Broye les Pesmes
Il est bon d 'évoquer le cas de Broye et de son pont, un joli pont de pierre qui en 1940 ne possède pas de chambre à mines. Quelques jours avant l'arrivée des Allemands dans le secteur, des militaires du Génie venus de Dole somment les deux frères Emile et Charles Toumazet maçons à Perrrigny sur l'Ognon, de faire trois chambres à mines dans le pont, ils doivent arrêter immédiatement leur chantier, pour se consacrer uniquement au pont.
Des trous à forer sans marteau-piqueur bien sûr, un tient la broche et l'autre l'a frappe avec un marteau . La manœuvre est dangereuse dans cette situation particulière, Charles se blesse sérieusement (et c'est un infirmier allemand qui le soignera et le sauvera quelques jours plus tard). Le vendredi 14 juin, quand reviennent ces mêmes militaires, le travail présenté leur convient
parfaitement :-- Deux piles sont prêtes, c'est bien suffisant-- reconnaît le capitaine. Deux sapeurs descendent dans les piles avec leur matériel pour y disposer leurs explosifs quand l'un s'exclame --Zut, on n'a pas de détonateurs--.
--On va aller en chercher à Gray-- reprend le capitaine. On ne les revit jamais. Ainsi fut sauvé ce joli pont qui demeure encore. Il constitue l'exception dans la Haute Saône,c'est le seul pont du secteur qui n'a pas sauté ni en juin 40, ni en septembre 44.
A Perrigny sur l'Ognon, sur la place de Perrigny, deux Pyrénéens en vélos, rescapés des affrontements de Pontailler discutent avec des vieux du village qui leur conseillent de déposer leurs armes, et de prendre des habits civils pour ne pas se faire tuer. Arrive alors de Pontailler un side-car allemand venu en observateur, les 2 militaires se cachent derrière l'immense pile de bois (la charbonnette du boulanger) et tirent sur les Allemands ; le side-car fait demi-tour et rend compte de la situation ; la réaction ne se fait pas attendre. Un quart d'heure plus tard, une pluie d'obus s'abat sur Perrigny, tirés depuis le mont Ardoux, point le plus élevé de Pontailler. Ces obus d'une cinquantaine de cm vont se ficher un peu partout, dans le dôme du clocher, dans les toitures de plus de 40 maisons occasionnant des trous de 3mètres carrés, une maison brûla.
Cette averse d'obus qui touche aussi l'école et ses environs, est la responsable de la mort d'Alfred Goutry d'Apremont venu la veille se réfugier à Broye chez Albert Bonvalot.
Pontailler sur Saône
Pontailler possède 2 ponts dont un sur la grande Saône et l'autre sur la vieille Saône. C'est le premier qui suscite l'intérêt des soldats français. Image(11)
Depuis septembre 1939 est stationnée une garnison composée d'un détachement du 81ème Régional comprenant une quarantaine d'anciens de 14/18 sous les ordres du capitaine Michelot, la plupart connus dans la région, habillés en kaki, la tenue bleu horizon a été délaissée pour ne pas la salir, tactique typiquement française...
Ce 15 juin au matin arrive directement des Vosges un groupe de muletiers du 6ème bataillon de Chasseurs Pyrénéens sous les ordres du Lieutenant Trémosa, une partie rejoint le Port St Pierre à Broye les Pesmes, d'autres un poste de soutien au bac d'Heuilley qui va essuyer les tirs nourris des mitrailleuses et de mortiers allemands depuis la prairie de Talmay.
A Pontailler cette troupe d'environ 70 d'hommes est scindée en deux : une moitié est retranchée au cimetière dont à cette époque la vue sur le pont était stratégiquement intéressante ( 2 mètres plus haut que la route), l'autre moitié occupe les maisons en avant du pont, de l'autre côté de la route. Pas question pour ces hommes de reculer devant l'ennemi comme l'ont fait ceux de la section anti-aérienne de mitrailleuses commandée par le Lieutenant Jacquelin, (elle disposait de quatre mitrailleuses lourdes qui auraient été d'un grand secours), sans même prévenir de leur départ... On fera sans elles, avec les moyens dérisoires dont on dispose.
En début d'après-midi le commandant de la place envoie un homme à la Gendarmerie pour une éventuelle coordination des forces, mais toute la brigade a mis les voiles. La défense de Pontailler se fera aussi sans eux.
Le pont doit être miné, les Pyrénéens circulent encore sur leurs mulets.Vers les 15 heures, décision est prise d'abattre deux grands platanes pour barrer la route, puis les hommes du Génie bourrent la poudre dans les chambres à mines du grand pont. Cette agitation provoque le départ de nombreux habitants en voitures ou en charrettes tirées par des chevaux.
On a sorti les trois Chars Renault de 14/18 de la Poudrerie, comme on l'a vu peu avant, ils peuvent toujours servir. Deux ont poursuivi leur trajet, le dernier n'a pu repartir, moteur cassé. A peine ont-ils passé le pont qu'un autre casse ses chenilles en accrochant les platanes abattus. Le dernier sera positionné à l'entrée de Pontailler sur la route de Maxilly, sa mitrailleuse ne risque pas d'impressionner l'ennemi...
Le pont saute vers les 9 heures du soir après qu'on ait livré le ravitaillement aux soldats postés sur l'autre rive. Ces hommes sont maintenant seuls, prêts à affronter au départ ce qu'on leur annonçait : quelques éléments ennemis venus simplement en éclaireurs, pas une division motorisée…
Il n'y a plus qu'à attendre demain.
La 2ème Panzer arrive aussi
Le Panzergruppe de Gudérian composé de trois divisions a sur son flanc le plus à l'ouest la 2ème Panzer qui, dans l'après-midi du15 juin, se présente à Lamarche sur Saône en espérant le pont intact.
Lamarche sur Saône
Comme à Pontailler sa voisine, Lamarche depuis septembre 39 est défendu par une trentaine de Territoriaux, anciens de 14/18, commandés par le capitaine Bossuet. Tôt ce samedi, ils sont en action, ils remplissent des sacs de sable à la sablière du port que deux cultivateurs Victor Roux et son voisin Baptiste Roux réquisitionnés transportent, avec leurs chevaux attelés à des charrettes,au pont de Lamarche. Ces sacs cylindriques de 50 cm de haut et de 30 cm de diamètre sont ensuite empilés les uns sur les autres pour former des murs de protection de1.50 de haut. Ce pont, ils veulent le défendre avec fusils et mitrailleuses ; d'autres territoriaux sont postés dans le village pour faire barrage à l'ennemi. Le pont n'est pas encore miné.
Vers les 4 heures de l'après-midi, une traction se présente au pont ; l'officier ,unique passager du véhicule, va trouver le capitaine : « Je prends le commandement, veuillez consulter le document de relève en mains. » Ce n'est pas du goût du capitaine, les discussions s'animent, s'enveniment.
- » Les Allemands sont à Gray, il vous faut évacuer le secteur, tant pis pour le pont ». La discussion s'anime, les propos de l'officier sèment la zizanie parmi les territoriaux qui refusent d'abandonner le pont. Le capitaine Bossuet finit par céder, ses hommes quittent les lieux dans l'incompréhension totale, la colère au colère au coeur. Ils ne quittent pourtant pas Lamarche et attendent les allemands de pied ferme.
Quel est cet officier venu prendre la relève au pont ?. Le doute persiste dans la tête des territoriaux, un français réellement ou un de la 5ème colonne ?
Dans la nuit de samedi à dimanche, des éclaireurs allemands en motos et side-cars arrivent à Lamarche par le chemin de la Vigearde puis repartent peu après avoir trouvé ce qu'ils cherchaient : le pont intact sur la Saône. Image(12)