B16-Retour d'exode

Retour d'exode (débâcle)  et fin de la guerre

 

La fin de la guerre

Si la guerre est terminée pour les nombreux soldats prisonniers tant dans le Nord que dans l'Est, au 17 juin 1940, d'autres troupes ont réussi à faire retraite vers le Sud et l'Ouest, certes dans un certain désordre, mais elles se sont enfin positionnées sur la Loire, croyant encore arrêter cette armée allemande conquérante et victorieuse.

 

L'armée de la Loire

Nous retrouvons ainsi Pierre Morel et les siens, comme aussi de milliers de soldats français stationnées sur ce nouveau front. Pierre est arrivé à Bécon les Granits, à l'ouest d'Angers le 21 mai, il le restera jusqu'au17 juin : son carnet est vierge pendant cette période, on attend les Allemands. Ce dimanche matin départ de Bécon, un mousseux de Loire gratuit en guise d'adieu, chaleur et bagages lourds à transporter jusqu'aux cars qui les conduisent à Champtoceau  au sud d'Ancenis sur la rive sud de la Loire et coucher sur la pâture.

Le lendemain, dernier achat de muscadet à 2 F le litre, décrochement quelques km plus bas à Varennes sur Loire.

Mercredi19 juin : En position sur la Loire, de faction pour la nuit, l'ennemi approche, mais nous rions bien et le bain dans la Loire est bon, tout comme la friture et les asperges.

Jeudi 20 juin : au matin un pont vient de sauter à 10 km (Ancenis). Ordre nous est donné de ne pas tirer sur les chars, cette fois ils ne nous feront plus battre en retraite, ordre cette fois de tirer sur les troupes qui avancent. Un deuxième pont saute : celui de Montjean, les mitrailleuses crépitent assez proche. Maintenant nous avons ordre de tirer sur l'infanterie, Nous avons peu de munitions et le canon tonne sans arrêt sur Champtoceau, des maisons brûlent. Nous n'avons pas de canon et des avions ennemis passent. Avec les copains nous nous creusons un trou pour s'abriter, puis le calme revient. Un vigneron nous paie à boire, nous retournons au château, les pelotons tiennent toujours à Champtoceau.

Départ pour la ferme de Gaigné, 21 km de marche, l'ennemi est proche. On reprend position à Champtoceau, on croise des éléments motorisés allemands. Nous sommes environnés d'Allemands, à tout instant des copains sont faits prisonniers. Nous prenons le minimum de minimum de bagages en cas de débandade, j'y laisse la valise et le tiers de mes effets, le ravitaillement se fait et le moral est bon. Nous attendons dans les environs de la ferme afin d'éviter d'être prisonnier et d'aller refaire les ponts de la Loire…

Après 25 km de marche, coucher dans une vigne du Pinsey, il fait froid. Nous n'avons plus de liaison avec le colonel.

Vendredi 21 juin : aujourd'hui, fatigue, l'armée de la Loire se défend pied à pied et résiste farouchement, mais nous sommes encerclés par l'ennemi, 2 copains ont disparu et je suis sans nouvelle d'un autre. Le commandant nous désarme, le vendredi 21 juin à 17 h45, nous sommes faits prisonniers.

On quitte Pinsey pour St Sauveur (15 km) et Champtoceau, arrivée à 10 h mais le ravitaillement cesse, nous repartons par radeau et traversons la Loire à 1 h1/2 du matin le samedi 22 juin. Coucher jusqu'à 5 h puis départ pour Oudon, Mésanger (20 km), arrivée à St Mars la Jaille où les habitants nous ravitaillent (20 km) ; coucher dans un pré de 22 h à 4 h du matin, il pleut. Lever et départ ce dimanche 23 juin. L'armistice est signé.

Nous sommes en Bretagne, la nourriture nous est passée à St Julien, habitants charmants, encore 15 km de marche pour arriver à Châteaubriant à 16 h. Nous aurons fait 80 km en 36 heures.

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Châteaubriant

Il est nécessaire de faire une étude détaillée de ce camp d'internement en France, tant Pierre Morel en donne un récit précis dans son carnet, des esquisses. Il y inscrit les chants du camp ainsi que les poèmes qui lui sont dédiés : une vraie mine d'or qui mériterait un chapitre à part.

Pour des prisonniers français qui arrivent ce dimanche 23 juin 1940, Châteaubriant n'est qu'un parc sans abris contenant 7 à 8.000 hommes. Rien n'existe pour un camp, tout reste à faire. La nuit, on dort sur la paille qu'il faut trouver ; une sentinelle du camp vient même de tirer en direction d'un voleur de paille. Je boitte et mes pieds sont en feu et en aiguille ; la nuit s'est passée avec beaucoup de pluie, je me réveille frigorifié. Depuis 4 h on fait la queue, il paraît qu'on aura du jus de pomme, je fume un cigare mais le ventre vide.

A midi nouilles et un morceau de lard cru, toujours pas de pain. Particularité du camp, il fourmille d'êtres de 18 à 45 ans, des affectés spéciaux, des gendarmes, des marocains avec leurs burnous rouges, des marins. Au programme, tentes, trous, baraques, aller à l'eau ou pas, au WC ; mais ce soir pain avec bœuf et on a pu avoir des provisions de lard ;

Les 4 jours suivants 2 patates et 2 doigts de lard cru. D'hier nous une baraque, nous nous croyons dans un palace…

En juillet, la pluie ne cesse de tomber transformant le camp C en un véritable bourbier, les prisonniers sont atteints de coliques, voire de dysenterie. Le jeudi 19 juillet, on nous entoure de grillages de 4 m de haut.

Le dimanche 21 juillet dans l'après-midi, 200 femmes et enfants sont venus voir leur s détenus : scènes poignantes de voir ces femmes derrière les premier grillages à 15 m des hommes derrière leurs barbelés. Des gardiens tiennent par la main certains qui reconnaissent leurs pères, c'est triste mais nous de l'est n'auront pas ce plaisir.

Du 22au 25 juillet, il ne cesse de pleuvoir, il y a 50 cm de boue dans le camp… Premières évasions du camp dans la nuit du30 juillet, la mitrailleuse  tire sur eux.

Mœurs des prisonniers : voleurs de bois, planches, victuailles, la façon âpre dont ils disputent pour obtenir les aliments, des courses au rabbe.

Dimanche 18 août : dans la nuit 6 évasions et 1 tué

Samedi 24 août, on a enterré le chef de Perpignan, 60 prisonniers assistaient à l'enterrement, le malheureux avait sauvé sa peau à la Norge près de Boulogne, il échouait tragiquement à l'aube de sa libération.

Dimanche 25 août, très belle messe de l'abbé Boisson, on parle des affectés spéciaux qui doivent être démobilisés, un vent de liberté souffle sur le camp.

Samedi 31 août nous montons des baraques…..

Mardi 10 septembre, la température s'est bien refroidie, il a gelé ce matin ? Qu’allons-nous devenir avec ces baraques sommaires.

Vendredi 27, départ de 200 copains, je crois que je vais avoir un contrat chez un marchand de bestiaux habitant un château pas loin d'ici bien d'autres partent aussi en contrat. Tels des robinsons, nous nous occupons depuis 100 jours dans notre pré, sans logement, sans outils,, sans matières premières, peu d'eau, pas d'ombre, il y a tout de même des progrès, un carton pour abri, des baraques se montent et nous pensons à la fuite…Hier, on noua pris nos ceinturons

Surprise à l'infirmerie : j'ai vu une table, 2 armoires et un lit à baldaquin, je me croyais transporté dans un château des 1001 nuits, 3 mois sans revoir d'intérieurs aménagés, comme cela vous change.

Jeudi 3 octobre, je suis demandé non pas par un marchand de bestiaux, mais par un brave agriculteur de 7 enfants habitant à côté d'un petit château du maître : le vicomte de Boispéhant : arrivée à la ferme dans une voiture à 2 roues, les écuries, le fumier, une chèvre gambade avec un bouc ; l'houtot est grand, ce sera ma chambre avec les 2 jeunes fils, et à côté le poêle, au bout le reste de la maisonnée. Hôtes gentils et très propres, beurre et bolées de cidre, galette de sarrasin et pain bis.

Fini le camp de Châteaubriant, vive la vie à la ferme de la Barre en attendant le retour à Montagney.

Le temps est consacré aux travaux de la ferme surtout le ramassage des pommes et des châtaignes et la fabrication du cidre ; le dimanche messe à Noyel ou à Torcy, avec le vicomte, et au café muscadet.                                                                                                        Image(02)

Mercredi 29 octobre, les baraques tombent, maintenant ne sont habités que les cantonnements en bois.

Quelques visites à la Kommandatur pour compléter les papiers de sortie et le jeudi 21 novembre, entretien avec le commandant et le lieutenant, les Allemands m'offrent des cigarettes, je leur paie une bière ? ça sent la sortie prochaine…

Le temps des adieux est proche.

Samedi 23 dernier passage à la Kommandatur : --vous êtes libre-- m'annonce un Feldgendarme en mettant un cachet et me rendant mes papiers.

Le lundi 25, passage à la Chambre de Commerce pour faire traduire les papiers, Pierre veut s'acheter un costume, les comptoirs sont vides et le costume est moche mais c'est mieux que rien, dernier dîner à Torcy.

Mardi 26 novembre, gare de Lyon 20h40, le dernier embarquement ?, je retrouve des copains du camp C, Besançon à 5h 35, le car à 8 h tout va bien, 27 novembre à Montagney.

 

Armistice et premières obligations

L'armistice signé le 23 juin40, les conditions imposées par les Allemands sont rapidement mises à exécution, tout particulièrement le partage du pays en 3 zones. La Haute-Saône se trouve en zone occupée et la frontière avec la zone libre est tout proche, au pont de Parcey (10 km au sud de Dôle). Le franchissement de ce passage est désormais réglementé : tous ceux qui sont partis à la débâcle ne peuvent retourner chez eux en zone occupée, que munis du fameux Ausweiss obtenu dans les Kommandatur locales.

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Pierre Morel n'aura pas ce souci puisqu'il quitte la Bretagne avec des papiers réglementaires fournis par les autorités allemandes, 

 

Retours d'exode

Tous ces gens qui ont quitté leur domicile pour éviter les troupes allemandes sont bien vite rattrapés par l'ennemi. A quoi bon poursuivre la fuite plus au sud, l'Allemand y arrive avant eux. Une seule solution s'impose rentrer. Pour ceux partis en charrettes tirées par des chevaux, ils constituent la grande majorité des déplacés, le retour ne pose aucun problème si ce n'est les routes encombrées de véhicules en panne, d'objets hétéroclites abandonnés : charrettes d'enfants, literies...mais l'impatience et la joie de revoir son habitation et les siens permettent de franchir tous ces obstacles. Mais que retrouvera-t-on à la maison ?

 

La ligne de démarcation

Pour ceux partis en voitures, en camions, en trains ou en vélos qui  sont restés plus d'un mois hors du domicile, les ennuis majeurs du retour se situent au franchissement de la ligne de démarcation destinée d'abord à contrôler les arrivées de personnes dans la zone dite occupée. Pour notre secteur, le passage de la frontière se fait au pont de Parcey : un poste tenu par des Feldgendarmes (les fameux colliers de chiens) au sud et le poste au nord tenu par les gendarmes français.

Les Allemands interdisent tout franchissement de la ligne aux réfugiés ne possédant pas les laisser-passer visés par une Kommandatur locale. Le passage clandestin est illégal pour les Allemands, passible d'emprisonnement, voire de déportation.

Un panneau signalétique d'une ligne de démarcation fut retrouvée dans une ferme de Bonboillon ; à quel poste de passage était destiné : Parcey ou autre ?                                   Image(05)

Autant de passages de la ligne, autant de situations différentes ; quelques cas méritent cependant d'être racontés, souvent insolites d'autres plus graves

 

Retour anticipé bienvenu :

André Lheureux de Venère 18 ans a fui l'arrivée des Allemands, en vélo, il s'est arrêté au Puy en Auvergne où il travaille dans une ferme en échange de la nourriture et du logement. Dans le journal local une information annonce la création imminente d'une ligne de démarcation séparant les deux nouvelles zones crées par l'Occupant avec les obligations administratives contraignantes qui lui sont attachées ; il faut rentrer de suite, Lyon puis Châlons où il retrouve deux cousins avec qui ils font le reste du chemin. Halte dans un bistrot pour se désaltérer : valise à la main, ils rentrent dans la salle accueillis par des Allemands déjà attablés qui leurs servent la bière demandée,

Au moment de régler,--«  Nichts »-- les gentils Allemands ouvrent le tiroir-caisse et leurs distribuent à chacun une poignée de pièces de 1 fr, 2fr qu'ils n'osent pas refuser…--« bon voyage »--. Les jeunes quittent le bistrot sans demander leur reste, tout estomaqués de l'attitude des Allemands de la salle. Un bon présage, ils franchissent la Loue à Parcey sans aucun souci ; la ligne ne sera installée que deux jours plus tard…

 

Retour dramatique :

Il n'en est pas de même de son copain de village Georges Deronzi. Lui a 16 ans, parti avec ses potes sur un vélo à contre pédalage (pour freiner on pédale en arrière , merveilleux!). Son périple a été évoqué auparavant et arrêté en janvier 1941, date à laquelle il a quitté la ferme où il travaillait. Le fermier mécontent de son départ lui fit cependant cette menace :--« si tu nous quitte, nous te dénonçons à la Kommandatur »-- curieux tout de même.

 Poursuivons le voyage de Georges qui ne pense qu'à retrouver les siens. Ils sont 70 jeunes à remonter. Mont sous Vaudrey, puis Chamblay, (Mouchard est en zone occupée), Vadans dans le Jura. Décision est prise de traverser les bois jusqu'à la Ferme des Arçures ; le passeur a notifié à chacun de se débarrasser de tout papier compromettant qui pourrait intéresser les Allemands. La traversée s'est bien passée et les 70 jeunes arrivent dans Mouchard et prennent le train pour Dole qu'ils atteignent à 9 heures du soir. Les SS les font sortir du train sans ménagement : ils ont toujours pensé avoir été dénoncé, peut-être bien dès la traversée du bois, le passeur peut-être…

Ils ne leur demandent même pas leurs papiers pourtant en règle, ils auraient du arriver en gare de Valay sans problème mais cela ne se passe pas ainsi.

Ils sont emprisonnés à Dole, ils risquent gros d'avoir passé la ligne en fraude. Les SS trouvent sur Georges comme sur quelques autres, des papiers qu'ils n'ont pas eu le temps de détruire dont une lettre de sa mère confiée à Jacques Meunier transmise par un passeur et reçue en zone libre. Cette lettre mentionne des noms, celui de Jacques Meunier bien sûr, et répétés de nombreuses fois le mot –Boches--. –-Qui est Jacques Meunier?

L'interrogatoire est musclé, les coups de matraque pleuvent. Georges est inquiet pour son ami, ses parents. Bilan de la journée : un mois de prison à Dole. Transféré en car à la prison de la Butte à Besançon, il croit mourir de faim : nourri deux fois par jour pratiquement à l'eau. Deux par cellule assis par terre, pas de lit, pas de chauffage alors que l'hiver est très rigoureux. Son collègue de cellule est un officier mécanicien dans les chars, originaire de Moselle de 24 ans, prisonnier en 40 mais évadé de la prison de Berlin en septembre 40 (Les SS ne sont pas au courant). En écoutant les surveillants allemands parler de leurs sorts, chacun est de toute façon d'accord sur un point : il vaut mieux être fusillé que déporté.

Pourtant deux mois plus tard, Georges Deronzi est libéré, mais il sort dans un état déplorable ; ne lui a-t-on rien trouvé d'autre qu'un passage frauduleux de la ligne de démarcation ? Toujours est-il qu'il quitte cet enfer pour regagner les siens à Venère, tout de même allégé de 3000 fr d'amende, directement déduits des 3700 qu'il avait régulièrement gagnés deux mois plus tôt…

 

Retour normal grâce au travail :

 Montmirey le Château a pour la particularité d'être un central téléphonique relié à tous les autres centraux que sont Dole, Gray, Auxonne et Pesmes. Blanche Chaiget fille du maire y est téléphoniste. Au 15 juin elle et ses sœurs sont parties avec leurs cousins qui possèdent une voiture : direction Bayonne via Fabrègues près d'Aurillac où les Chaiget ont de la famille. Quelques jours plus tard lors d'un déplacement à Bidard, ils se trouvent face à des blindés allemands. Inutile de rester, il faut remonter. Pour les autorisations de franchissement de la ligne de démarcation, pas de soucis. Blanche se rend dans un bureau téléphonique qui lui procure un ordre de mission. Ce document lui permet de rentrer par n'importe moyen à Montmirey, plus encore elle peut se procurer de l'essence là où elle veut. Parcey est donc franchi sans aucune difficulté pour elle, mais il n'en est pas de même pour les autres occupants bloqués au poste allemand et tout particulièrement le notaire de Montmirey qui dut patienter plusieurs jours avant de regagner son office.

Retour grâce aux connaissances

François Vouillot de Montagney doit fuir la région sur un conseil de la Préfecture. Parti seul à pied jusqu'à Pesmes, puis en autocar jusqu'à Chalons où ils y couchent, il peut ainsi profiter du spectacle des explosions des dépôts d'essence et de munitions dans les casernes, provoquées par les soldats français. Le voyage se termine à Mirepoix dans l'Ariège dans un centre d'accueil ; sans occupation, des réfugiés un peu partout, il n'y restera qu'une quinzaine de jours et remonte avec quelques uns du secteur, par trains successifs, vers sa Haute Saône qu'il n'aurait pas du quitter. Bloqués à Poligny à la ligne de démarcation, ils auraient pu la franchir, mais sans bagages.

C'est une connaissance paysanne, le père Depierre de Montagney, patron d'une entreprise de battage qui vient à leur secours. Il réussit à avoir des papiers par la Préfecture, pour lui et quelques autres ; François peut tranquillement rejoindre les siens à Montagney.

 

 

Retour moins contraignant  pour les fils de cultivateurs :

Charles Gay et son copain René Bolopion partis en vélos de Lieucourt ont gagné Roanne où ils vont rester une bonne quinzaine de jours dans une ferme. Pour rentrer ils veulent passer la ligne à Chaussin. Refoulés par les Allemands, ils font circuler le message de leur présence ici à leurs parents par l'intermédiaire d'autres jeunes qui eux ont des papiers réglementaires pour franchir cette ligne. Deux courriers des parents sont envoyés à la Kommandatur de Vadans demandant le retour de leurs fils pour la bonne marche de leurs exploitations agricoles. Les deux pères se rendent personnellement à Parcey, en vélos munis des deux Ausweiss ; pas de temps à perdre, tous les quatre regagnent Lieucourt en fin de soirée.

 

Retour avec l'aide des Allemands :

Maurice Thevenard de Chevigney a un parcours aller similaire à ses deux amis de Lieucourt. Ayant atteint Séverac dans l'Ardèche, il entend parler au poste de radio des cultivateurs qui l'hébergent, la constitution d'une ligne de démarcation entre zone libre et zone occupée. Il décide de rentrer rapidement, hélas pour lui la ligne à Chaussin est bien là. Huit jours d'attente avant de profiter du passage de Mr Barbier exploitant de la carrière de Chaumercenne pour faire transmettre une lettre à ses parents. La suite est rapide et surprenante. Une tante à Maurice Thevenard héberge à Germigney un colonel allemand parlant très bien le français, son neveu est retenu à Chaussin. –« Donnez-moi une photo de lui »--, plutôt surprenante la réaction du gradé. Le lendemain à Chaussin, un gars de la mairie arrive au poste, --« on demande un certain Maurice Thevenard » ;--«  c'est moi, qu'ai-je fait? » --« il ne manque plus que ça »…-, --«  un officier allemand vous demande, il veut vous voir »-- . Roger Martin et un certain Riondet, ses copains de route l'accompagnent jusqu'à l'office, le colonel allemand – qui est Maurice Thevenard ?—« il sort ensuite de sa poche la photo »,-- oui, c'est bien vous, je vous emmène – , »où ça ? »--,--«  chez vous à Chevigney »-- ; Son passage de la ligne accompagné de l'officier allemand fut bien sûr diversement commenté, tout particulièrement par ses deux copains qui restèrent cloués sur place, abandonnés par Maurice qui en oublia la proposition de les emmener avec eux…

 

A Chancey, la famille d'Albert Gauthier, (son frère est aux Armées dans les Vosges, pas encore prisonnier), a quitté le village pour la Dordogne plus précisément Vialard, emmenant sa mère et ses deux sœurs Marie et Marguerite. Ils y resteront plus d'un mois dans une ferme où chacun prend sa part des travaux des champs. Le retour est décidé, il faut les documents de laissez-passer : une lettre est envoyée à son père demeuré à Chancey. Un rendez-vous avec le responsable de la Kommandatur locale et les documents sont expédiés en Dordogne permettant le passage sans attente à la ligne de démarcation de Parcey.

 

Passages tout à fait illégaux par la Loue :

Victor Monot, sur le conseil de l'abbé Laprévotte curé de Venère, avait quitté la ferme de Gomerey avec quelques jeunes en vélos, pour l'Ardèche, où ils y restèrent 2 mois à ne rien faire : que de la châtaigne et de la brebis...La remontée d'un groupe d'une dizaine de jeunes de son âge avec étape à Tournus se poursuit jusqu'à Parcey. Malgré la possession d'un laisser-passer visé par la Kommandatur, il se voit refouler à la ligne par les Feldgendarmes, sans aucun motif…

Un passeur leur propose la traversée de la Loue, à la nage : 3 jeunes seulement acceptent. En pleine nuit, le passeur très au courant des heures de ronde des veilleurs allemands leur donne l'ordre de s'avancer dans l'eau, le vélo sur l'épaule, plutôt facilement car à cet endroit la rivière est peu profonde.

Il n'en est pas de même pou ces gens de Vadans : Zélie, sa mère et son futur mari. De retour du massif Central, ils sont bloqués au pont de Parcey. le jeune Nèple se décide à franchir la Loue avec l'aide du patron du restaurant : l'As de Pique qui lui indique le passage ; mais arrivé au bord, il n'ose traverser, les pluies de la veille ont gonflé les eaux de la rivière. Le passage est remis à demain et le chef du restaurant passe devant lui et le guide dans la rivière. Arrivé sur l'autre rive, le jeune reprend son vélo et rejoint Vadans. Il obtient les 2 laisser-passer à la Kommandatur installée dans le petit château situé sur la place du village. Le chef de l'As de Pique fait son possible pour obtenir de faux-papiers aux 2 femmes, l'attente dure 3 jours pour lesquels elles cultivent le jardin attenant au resto, les papiers arrivent de Vadans à temps, si bien qu'à son retour, le restaurateur peut donner ces 2 laisser-passer à deux autres femmes qui attendaient chez lui. Ce passeur était un honnête homme qui ne demandait rien pour ces passages pourtant si risqués pour lui.

 

Ce doit être lui qui conclue la trop longue aventure de Georges Brun de Bard.

 Georges Brun et ses potes du village, Lucien Ruffy, Georges Déliot et Bernard Régnier ont quitté Bard dans une Renault (un rebut de l'Armée, avec le ruban tricolore derrière), conduite par son voisin Clerget. Ils franchirent St Jean de Losne ( plein à refaire), Nolay (la voiture hoquette, problème de gicleur , vis à resserrer qui pète). On abandonne la voiture dans un fossé puis la suite du trajet à pied, barda dans le dos. Rien d'autre à faire que du stop, ils montent dans un camion militaire bien chargé de soldats français, belges récupérés le long de la route, et arrêt à Moulins. 3 de ses copains veulent remonter, par le train et retour à Bard sans souci. Georges Brun se rend chez son oncle Maximilien Chopard demeurant à Vichy en vélo prêté par un des soldats du camion.

 Il y arrive le dimanche16 juin, quelques jours plus tard, les Allemands, le 18 y arrivent aussi...Un SS se manifeste : un pistolet dans chaque botte et un aussi dans chaque main. Il ordonne le désarmement de tous les soldats, des Vietnamiens qu'il oblige à casser les crosses de leurs fusils avant de les chasser; Il reste un mois chez sa tante avant de songer rentrer. A Charolles il rencontre le jeune Pralon fils du marchand de chaussures de Gray, ensemble en vélos, ils franchissent les monts du Forez pour atteindre Tournus où se trouve la ligne de démarcation. Bien sûr refoulés par les Allemands (pas d'autorisation de laisser-passer), ils dorment sur place et repartent au matin pour Buxy tout vert d'Allemands. –« Sauvez-vous vite, les Boches ramassent les jeunes »--, ils passent la journée cachés dans une cave et demi-tour à Vichy…

15 jours plus tard, nouvelle tentative à Tournus, il contourne Buxy et rejoint Pierre en Bresse où  une équipe de jeunes de Charcenne et d'Avrigney attendent pour passer. Tous ensembles, ils remontent jusqu'à Navilly. Sur le pont les inévitables guérites les arrêtent, une à chaque extrémité. Ils dorment dans des barques et un boucher de Gy leur fait à manger ; on leur conseille de regagner Pierre en Bresse où ils peuvent dormir dans une écurie sur de la paille et Georges a droit à la chambre du fils de la maison prisonnier en Allemagne. Ils recherchent alors du boulot dans les fermes du coin, mais les moissons sont finies, toutes les semaines ils se rendent au marché vendre des petits cochons, mais la belle vie a assez duré, ça fait un mois qu'ils patientent.

Ils reprennent la direction de Parcey où notre passeur de Souvans pourrait leur faire franchir la Loue gratuitement, ils n'ont d'ailleurs plus d'argent...Présents au rendez-vous, ils traversent bien par un gué sur la rivière, l'eau jusqu'à la poitrine, les vélos sur le dos. Arrivés sur l'autre rive, ils se cachent dans un champ de mais pour se faire sécher et reprennent la route.

Ils contournent Dole occupé massivement par les Allemands, et passent par la forêt de Chaux, puis Chatenois où les Allemands présents se désintéressent totalement de cette bande de jeunes à vélos. Au soir, Georges avait rejoint les siens à Bard, il n'était pas attendu au souper…

 

Ce n'est pas le même scénario dans l'exemple suivant.

Julien Martin de Thervay est un soldat français faisant partie de l’État Major du 182è ; avec quelques compagnons ils réussissent à se sortir du guêpier d'Amiens en mai 40. Reculant à mesure que les troupes allemandes avancent, ils gagnent le sud de la France jusqu'à la Garonne et gagnent Montauban où ils y restent jusqu'en novembre. Remontant jusqu'à Parcey, un passeur leur fait franchir la Loue, mais sur l'autre rive les Allemands les attendent, bien cachés dans les hautes herbes, un passeur véreux comme il en existait, juste bon à se faire du fric, peu importent les conséquences. Résultat : 3 mois de prison à Clairvaux. Ils purent cependant rentrer en zone occupée, franchissant cette fois la Saône peu après Chalons, un jour particulier où la surveillance était moins sévère, ils se sont montrés très patients et pendant tout ce temps, ils travaillèrent dans les environs. Julien Martin retrouva ses parents à Thervay le 11 avril 1941…

 

Cette ligne mise en place par les Allemands a constitué, pour tous les gens qui voulaient rejoindre la zone occupée, une frontière difficile à franchir. Suite au débarquement allié en Afrique du Nord en novembre 1941, les Allemands envahissent la zone libre et la ligne de démarcation n'a plus de raison d'exister.